I/O n°68 [édito] La faim

L’appétit vient en mangeant paraît-il. Voilà ce qui constitue la recette de base des festivals, garnir un buffet de mets rutilants aux saveurs diverses et exotiques pour que tous s’y sustentent, de préférence dans la joie et l’admiration de la finesse des goûts, de la rareté des produits. Et même si l’accord inédit entre deux saveurs qui ne se côtoient pas habituellement reste un must, la tendance chez les palais délicats est à la sobriété, aux tonalités franches qui ne se cachent pas derrière des assaisonnements efficaces. Ces fêtes a priori dionysiaques que nous arpentons sur tous les continents tentent d’équilibrer l’apollinien, contrepoint évident mais souvent nécessaire pour éviter l’écœurement. La frugalité serait donc la nouvelle orgie, le déjà-ça, la marche à atteindre. Faire la balance entre les aliments doudous, régressifs, saturés mais rassurants et ceux qui, par leur richesse et leur subtilité, ne se laissent pas apprécier sans préparation est un art délicat et visiblement difficile à maîtriser. Comme tant de choses essentielles, le goût s’éduque et se travaille, et c’est en mangeant, et en mangeant encore, qu’on devient un épicurien prosélyte. Car il est de l’intérêt public de transmettre l’art de la dégustation et de convertir les fans de prêt-à-ingérer en adeptes du bon, du beau et du vrai. Dans ce dernier opus avignonnais de I/O – il faut savoir s’arrêter avant que son estomac gavé menace de s’extérioriser –, c’est la fin provisoire de la faim qui est célébrée, sans remords ni regret, repus mais pas repentis.