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L’interprète et chorégraphe de flamenco Rocío Molina, assidûment programmée au Théâtre National de Chaillot, au City Center à New-York, au Bunkamura à Tokyo et j’en passe, connaît une renommée non moins notable au Royaume-Uni. On l’a vue nominée aux Olivier Awards et vue danser plusieurs fois au Barbican à Londres depuis 2014.

Son spectacle Caída Del Cielo pose, cependant, plusieurs questions. Tout d’abord, nous tenant dans un premier temps à des considérations purement formelles, on assiste à plusieurs spectacles en un seul. Différentes séquences se succèdent, sans réflexion tangible sur des enchaînements éventuels et répondant à des supports esthétiques et des approches du mouvements très différents. Les différentes parties ne semblent pas entrer en résonance les unes entre elles. Au bout d’une heure de spectacle, une agitation est palpable dans le public, similaire à celle des dernières salles d’un musée dont l’exposition est trop longue / aborde trop de thématiques. Tant est si bien que j’ai cette impression d’avoir vu plusieurs artistes sur lesquels je n’ai pas du tout la même opinion. Drôle, à la limite.

D’autre part et reprenant ici les éléments de langage utilisés par les théâtres pour vendre son travail, Rocío Molina réinvente le flamenco traditionnel. Il est vrai que la chorégraphe étire le mouvement, le pousse, le contraint jusqu’à en faire une avant-garde. Elle fait de la danseuse de flamenco une sorte d’hydre changeante absolument excitante. Elle exploite les contraintes techniques et de costume pour redessiner la silhouette, réinventer le rythme.

J’admets avoir plus de doutes sur la nécessité de faire enfiler un jogging Adidas au percussionniste,  sur l’intérêt réel des changements incessants de costume passant du peignoir de boxeur, aux lanières en cuir sadomasochistes. Je comprends bien qu’on veuille susciter le rire en faisant manger des chips sur scène aux interprètes, le public anglais y a visiblement été sensible, mais cela reste d’un intérêt limité, si je ne m’abuse. Elle introduit, dans son flamenco, des codes et ressorts scéniques d’autres genres qui ne viennent que s’apposer et n’enrichissent pas la proposition. Pourquoi ne faisons-nous pas confiance au mouvement pour se ré-inventer lui-même ? Rocío est une femme du 21ème siècle ; elle vit et est traversée par son époque et sa manière de danser le flamenco ne saurait être que contemporaine. On aimerait presque la voir danser sans costumes loufoques et décorum. Ses mouvements racontent tellement d’histoires et sa présence est telle que toute la fioriture contemporanéisante autour fait parasite. Elle est une interprète d’une virtuosité fabuleuse, d’un charisme ahurissant, sa danse est naturellement inventive, notamment sur son travail au sol. N’est-ce pas suffisant pour légitimer le flamenco comme partie prenante de la création contemporaine ?