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« Regarder la musique et écouter la danse » dit Anne Teresa de Keersmaeker dans une interview donnée au “Monde” à l’occasion de sa rétrospective. Onze pièces de la chorégraphe belge sont présentées à l’occasion du festival d’Automne, dont la plupart sont articulées à des œuvres de compositeurs majeurs de la musique occidentale avec un goût prononcé de la chorégraphe pour la musique contemporaine. Steve Reich, György Ligeti, Arnold Schönberg et Gérard Grisey sont ainsi mis à l’honneur, mais également Jean-Sébastien Bach et plus inattendu : John Coltrane.

Avec « Vortex Temporum », Anne Teresa de Keersmaeker s’attaque à la pièce testamentaire de Gérard Grisey, compositeur français qui fut l’un des initiateurs de la musique spectrale en France. La musique spectrale est un courant de la musique contemporaine qui voue une attention toute particulière au timbre, à la perception du son et aux processus de transformation du matériau sonore dans le temps considérant le son de façon complexe, sur le mode du continuum et explorant les diverses composantes harmoniques de celui-ci, de façon scientifique.

« Vortex Temporum », qui s’inscrit dans cette lignée esthétique, est une longue pièce méditative sur le temps, le tournoiement, le vertige. Gérard Grisey la définit comme une tentative « d’abolir le matériau au profit de la durée pure » en partant d’un accord diminué issu du « Daphnis et Chloé » de Ravel qu’il déploie et métamorphose de façon circulaire au cours de sa composition. L’oeuvre — jouée par cœur — est magistralement interprétée par les musiciens de l’ensemble Ictus. On retiendra notamment les délicats instants d’interlude avec les souffles, les bruitages et  les « ombres sonores » produites en jouant sur les cordiers et les chevalets du violon et de l’alto.

La danse, qui est un véritable calque de la musique, dans la mesure où chaque interprète est en couple avec un musicien, risque pourtant d’épuiser l’attention du spectateur, ce qui est regrettable. Le résultat est une oeuvre chorégraphique d’un grand formalisme, finalement assez froide et peu accessible. La sensation, troublante, de vertige, est tout de même atteinte au cœur du spectacle, lorsque musiciens et danseurs, occupant conjointement l’espace, évoluent de façon circulaire au gré des rosaces qui sont tracées sur le sol. On retient alors son souffle et on se laisse griser.