Emmanuel Bex et David Lescot unissent leurs forces pour entreprendre le récit, ou plutôt le récital de la Commune de Paris, révolution éphémère, bœuf social et libertaire pendant lequel le peuple a pu s’affranchir de la partition et décider de lui-même ce qu’il allait jouer.

Le premier est un maître de l’orgue Hammond, le second un orfèvre de l’écriture dramatique. En commun, ils ont la langue du jazz pour raconter cette page si emblématique (et pourtant si mal connue) de notre Histoire. Mais ici pas de reconstitution folklorique, l’espace scénique est celui du concert et c’est un poème épique qui nous est proposé, avec le jazz comme moteur dramaturgique, sa part d’improvisation, de swing, de partage et d’interaction entre les voix individuelles. Une narration extrêmement bien maîtrisée, aussi composite dans sa forme élaborée que dans ses matériaux de base (archives, extraits de journaux, manifestes, poèmes et chansons de l’époque) est ainsi est recomposée « à quatre mains » pour aboutir à une forme de théâtre musical tout à fait originale et qui donne un écho très actuel au combat de ces femmes et ces hommes en 1871.

Comme une revue, le spectacle s’articule en séquences, avec chacune son ambiance, son rythme, son jazz et son procédé narratif : portraits, récits, chants, jusqu’au spoken word de Mike Ladd dont les saillies poético-militantes en anglais rappellent que les luttes sociales n’ont pas de frontières. La chanteuse comédienne Élise Caron donne corps aux figures féminines emblématiques, de Louise Michel à Élisabeth Dmitrieff. La musique d’Emmanuel Bex « raconte » autant que les mots. Qui mieux que Simon Goubert, déchaîné sur sa batterie, peut représenter la violence de la mitraille pendant la semaine sanglante, tandis que le saxophone de Géraldine Laurent fait brûler dans le cœur du public tantôt la fièvre de la révolte, tantôt l’espoir des jours meilleurs. Comme dans nombre de ses spectacles, David Lescot est présent sur scène. Il joue, il chante, il accompagne à la trompette le reste de la formation musicale. D’un œil malicieux il encourage ses partenaires ou vient chercher la complicité du public. Une manière toujours élégante de se poser en rhapsode, marionnette tirant ses propres ficelles en équilibre sur le fil du récit, dans l’idée qu’un poème, ça se dit tous ensemble. Cela tient aussi, à mon sens, à la nature de son engagement artistique, à savoir assumer la responsabilité de la proposition et du geste dans son entièreté, de l’écriture à l’interprétation. Et c’est une honnêteté rare qu’il faut saluer.

A l’instar de Peter Watkins qui avait su transcender La Commune au cinéma dans une mise à distance en regard avec les mass-média, le tandem Bex – Lescot accomplit, grâce au jazz, le prodige de nous la rendre à nouveau familière, intime même, comme un sentiment de révolte refoulé enfant qui viendrait éclater en plein jour. Oui. Elle brûle en nous cette chose en commun, cette fleur rouge de Paris qui fleurit de Montmartre à la rue Ramponneau, la soif de liberté.