« Paradiso » : méditations sur l’amour

Paradiso

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Après « The Evening », dont nous avions déjà parlé à l’occasion du Kunstenfestivaldesarts en 2016, le metteur en scène américain Richard Maxwell achève son triptyque inspiré de « La Divine Comédie », de Dante. I/O Gazette était à la première de « Paradiso » à New York.

Il y a toujours eu chez Maxwell un sens de l’économie scénique confinant à l’abstraction. Dans la direction d’acteurs, frôlant le jeu blanc, mais aussi la narration elle-même, ne s’embarrassant pas de circonvolutions superflues. Ici, c’est d’abord la scénographie qui frappe. C’est que le spectacle n’a pas été créé dans un lieu de spectacles, mais dans une galerie d’art, celle de Greene Naftali, à Chelsea. Le lieu, aux murs d’un blanc aussi immaculé que ce paradis auquel nous sommes conviés. Au milieu du plateau de cette grande salle en rez-de-chaussée, deux colonnes qui semblent – fortuitement – un peu les Jakin et Boaz d’un temple dédié à on ne sait pas trop quoi mais sans nul doute à quelque chose de sacré. À l’amour, peut-être ?

Lorsque la porte latérale de la pièce s’ouvre et qu’une voiture s’avance pour stationner au milieu de la scène, on se dit que le voyage commence. Car chez Maxwell, il s’agit toujours d’entrer dans un espace ou d’en sortir. Rien de franchement humain, d’abord : un étrange robot low-tech (une caméra sur des roulettes) débite, de sa voix monocorde, un récit décousu dont on ne sait s’il s’agit d’un futur dystopique. Puis, du véhicule, les acteurs s’extirpent lentement. Mais au lieu de gravir linéairement les neuf cieux du paradis, on se maintient en équilibre, coincé entre des humanités fragiles, celles, comme le rappelle le dicton indien, de ceux « qui voyagent dans deux directions à la fois ». À partir de là, la pièce évolue entre théâtre physique dont le degré de symbolisme reste flou et courtes séquences d’histoire concrète et intime : celle de la jeune femme incarnée par Carina Goebelbecker, malade dans son lit d’hôpital, face à sa mère (l’impeccable Elaine Davis), qui semble indifférente. Mais aussi de discours politique, par l’évocation des figures archétypales de l’artiste et de l’activiste (« Nous sommes devenus patriotes, car c’était devenu nécessaire pour survivre ») sans vraiment savoir si on célèbre leur mémoire ou si l’on panse leur échec. « Si vous cherchiez l’exil, c’était ici l’endroit » : sommes-nous vraiment dans le paradis, ou piégé dans un leurre, dans la prison de fer noir des gnostiques ?

Le spectacle est aride, déconstruit, rythmé curieusement. Littéralement déroutant. S’il y manque les fulgurances sonores et visuelles de « The Evening », la plume de Maxwell est toujours aussi saisissante. « L’amour, c’est tout ce qui reste » fait écho à cet « amour qui meut le ciel et les étoiles » du texte de Dante. Mais, lorsque les quatre personnages repartent en voiture et que, pendant quelques longues minutes, ne demeurent que le silence du plateau blanc et le bruissement de la ville en arrière-plan, on se demande si c’est le ciel qui est vide, ou nos cœurs qui sont prêts à être remplis. Verre à moitié vide ou à moitié plein, Maxwell se garde bien de trancher la question. Et le silence de ces espaces infinis nous laisse dans une profonde mais douce mélancolie.