© Jean-Louis Fernandez

Après la création de « Cosi fan tutte » à la réception très mitigée en 2016, Christophe Honoré occupe en 2019 les planches du Festival d’Aix-en-Provence avec un nouveau classique de taille. « Tosca » est non seulement une histoire opératique par excellence, cousue en tous points de passions crues et de larmes terribles, mais représente encore un miroir inouï tendu par le maître Puccini au genre lui-même ou, plus particulièrement, à ses agents.

La sulfureuse Tosca, cantatrice romaine, présente sa voix comme un catalyseur narratif et émotionnel unique. En s’emparant de l’œuvre vériste, le metteur en scène cherche à donner au symbole de Tosca une dimension argumentative nouvelle : la mise en abyme de l’intrigue sert ici une réflexion sur la question de la transmission. Tosca est tout à la fois Catherine Malfitano ­— vedette de la production d’Andrea Andermann en 1992, présentée ici comme retraitée entourée de ses souvenirs de gloire — et Angel Blue, nouvelle étoile lyrique. Au-delà de ces deux générations de femmes, le metteur en scène multiplie allègrement les allusions et autres références symboliques à toutes les Tosca du passé ainsi qu’à leurs chanteuses qui ressuscitent en banderoles, sortes de totems lyriques et passionnels au féminin. Pour mener à bien ce traitement double du rôle-titre, Christophe Honoré déconstruit précautionneusement l’ensemble du récit pour fabriquer sa propre fable derrière laquelle dépassent en pointillés les éléments du livret d’origine. L’opéra n’est plus tant l’histoire sanglante d’une Rome politiquement déchirée que celle d’une « masterclasse » plus ou moins surréaliste où Angel Blue passe les bras dans le costume figuratif et littéral de Tosca.

Pour structurer ce geste dramaturgique complexe, Honoré s’appuie sur une utilisation du medium cinématographique qui épaule de différentes manières la fusion des deux chanteuses, vieille et jeune. Parti d’un prétexte infra-diégétique qui faisait de la caméra un outil de mémoire documentaire dans le premier acte, l’image multiplie les couches narratives dans le second, propulsant les récits originels et réinventés en un difficile contre-point. Finalement, elle disparaît tout à fait, laissant le dispositif scénique dénudé jusqu’à l’os : ne reste plus sur scène que l’orchestre lui-même et les artistes lyriques, qui terminent l’œuvre à la façon d’un récital. Ce point de fuite surgit avec l’effet légèrement amer d’un soufflet qui dégonfle, comme si les nœuds de difficulté que s’était imposé le metteur en scène à lui-même jusque-là étaient trop laborieux ou bien superficiels et ce, malgré le bien fondé de l’idée initiale. En contraste, ce troisième acte semble aussi aride que long, et fouette le spectateur d’un incompréhensible vent de déception, heureusement dissipé par le talent impeccable des chanteurs.