Terebrante © Julio Gallegos

Angélica Liddell est une grande performeuse certes, peut-être l’une des plus engagées corporellement sur les scènes actuelles, mais elle est avant tout une auteur. Ce qui est sous-tendu dans ses précédents spectacles dont le très marquant « Liebestod » présenté au festival d’Avignon en juillet 2021, c’est qu’au-delà d’un sens du plateau hautement esthétique et d’une faculté à créer des images qui entaillent durablement yeux et esprits, ce sont ses textes, longues diatribes, vomi acide d’insultes et de vérités mêlées qui lestent de sens et de panache ses éructations dramaturgiques. « Terebrante » est un livre d’images liddelliennes, cigarettes qui se consument aux lèvres vaginales, rapide masturbation pour se mettre en jambes, postures désuètes des corps ampoulés, hectolitres de liquides déversés sur des ruines de rituels d’une religion païenne… les aficionados sont en territoire connu. Mais pourquoi cette fois-ci, rien n’advient ? Aucune scène ne semble s’élever, tout s’englue dans une provocation vaine, sans transcendance ni rage. Pourtant c’est de douleur qu’il s’agit, de celle qui vient porter le coup de grâce « le coup de poignard après le coup de poignard » dit Angélica dans ses intentions de mise en scène. Car pour chanter ce flamenco-là, celui d’avant le langage, Manuel Agujetas à qui Liddell veut rendre hommage dans ce spectacle dit qu’il faut avoir souffert, beaucoup, longtemps. Du chant gitan il reste les cadavres de guitares mais la chair n’y est plus, l’émotion évaporée, la densité des voix aux oubliettes. Nous sommes dans l’après, un monde où la souffrance a remporté la mise et où l’art est impuissant à soulager nos névroses. Tout se déroule comme si Angélica Liddell refusait sciemment de nous adresser la parole, nous punissait par son silence nous laissant en aumône barbarismes et corps en pâture. Le manque devient alors criant : sans mot, l’édifice cérémoniel ne rime à rien, les images glissent et s’oublient. L’art théâtral révèle sa puissance grâce à des équilibres mystérieux et subtils, Angélica Liddell échoue parce qu’elle est sans cesse au travail, une tentative infructueuse qui présage la renaissance prochaine du phénix.