À quoi rêvent les jeunes filles

L’Âge libre

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Elles sont quatre, elles sont belles, elles ont la vingtaine et une énergie phénoménale. N’ayant rien à perdre et tout à donner, Inès Coville, Agathe Charnet, Lucie Leclerc et Lillah Vial délivrent un exercice jubilatoire en passant Roland Barthes et ses « Fragments d’un discours amoureux » à la moulinette de la pop culture.

Qui aurait cru que Roland Barthes parlait aussi de la jeunesse d’aujourd’hui ? C’est en s’appuyant sur une citation des « Fragments » que les quatre comédiennes déroulent une partition sans fausse note. Enfin, les femmes se réapproprient la scène. Enfin, on confronte les idées de Roland Barthes au désir féminin. Sur scène ; on clope, on jure, on crache, on chante et on danse aussi (que celui qui n’a pas frémi en entendant Lillah Vial entonner le refrain de « Voyages voyages » nous jette la première pierre), et on prend même les spectateurs dans les bras. Ici, on aborde des sujets aussi fondamentaux que l’existence ou non de l’orgasme vaginal, la façon d’accueillir son mec qui vient de passer quinze jours au ski sans donner de nouvelles alors qu’on est accro aux textos, mais aussi l’amour, le vrai. Qu’est-ce que c’est, au fait, l’amour ? L’Âge libre tente de répondre à la question. C’est peut-être vouloir un enfant à l’heure du couple libre et du trouple. C’est peut-être, selon la formule de Barthes, « être la fête de quelqu’un ». C’est aussi ne pas s’oublier, soi, comme être humain, et les cœurs se serrent un peu en entendant Lucie Leclerc avouer « avec toi je n’étais rien, mais c’était bien d’être rien avec toi ».

Le propos est vertigineux et la question du couple posée. Comment se construire, seule ou à deux, dans une époque où l’on ne pardonne rien, et surtout pas aux femmes ? La féminité, ce combat ordinaire et quotidien se dresse ici sur un ring de boxe, ou de catch comme dans les « Mythologies » barthésiennes. Barthes effectuait un double mouvement de monstration et de dissimulation dans sa fameuse figure aux lunettes de soleil, qui soulignent les larmes versées tout en dispensant de les montrer. Les comédiennes de L’Âge libre osent faire valser les lunettes de soleil et montrer ce que c’est que de faire partie de la génération Y, cette génération qui se reconnaît volontiers comme une génération sacrifiée. Sacrifiée, certes, mais pas désespérée pour autant. Il faut monter sur le ring et se battre à coups de poing, à coups de Barthes, à coups de chansons et de vannes qui fusent. Il faut oser décapiter sa poupée mannequin avec les dents dans un geste ô combien symbolique et libérateur. Décapiter sa Barbie, c’est reprendre le pouvoir, refuser de se soumettre aux diktats des uns et des autres et s’assumer, enfin.

La compagnie Avant l’aube nous apprend aussi qu’on peut être contradictoire sans se contredire vraiment. Fantasmer sur l’idée d’un suicide romantique quoique vengeur et dire merde à « Belle du seigneur » et son Ariane perpétuellement dans l’attente et la retenue. Et découvrir à quel point il est libérateur de dire merde. Merde à son mec. Merde aux clichés de la féminité véhiculée dans les magazines féminins. Merde à la rupture qui vous a laissée sur le carreau mais vous a proverbialement rendue plus forte.

Voilà quatre filles avec qui il faudra dorénavant compter. Quatre filles qui nous ont rappelé la magie d’Avignon : derrière la porte d’un tout petit théâtre peut se cacher un trésor de spectacle. On a hâte de voir la suite.