« Arte, c’est la nuit »

Projecto Continuado

© José Carlos Duarte

Il n’y avait apparemment pas encore eu suffisamment d’ateliers-performances sur le corps : le corps et le mouvement, le corps et l’espace, le corps et sa liberté. Le genre d’événement à l’ambiance psychédélique mais « à la cool », entre bobos de bonne conscience.

« Projecto Continuado » cherche à parler du rapport au corps à travers le filtre de l’histoire de la danse, commençant par le modèle grec antique dénudé comme paradigme du mouvement libre. Toi aussi, te sens-tu oppressé(e) ? Ton corps à toi se trouve-t-il également entravé, aliéné, par la société ? Par ta condition ? Alors vite, viens donc échanger : prends le micro, ouvre ton cœur. N’aie pas peur des mouvements libres de ton corps, ni de ta nudité !

Il n’y a pas de mystère, le défi relève autant du bon sens que du bon goût. Pas de chance, « Projecto Continuado » a préféré enlever au théâtre ce qui fait le théâtre, pour ensuite recouvrir ce corps décharné d’un voile d’instantanéité feinte, de moments aussi faussement iconoclastes les uns que les autres. On habille la scène de formes géométriques aux tons scolaires presque enfantins, comme une évidence scénographique sans grande profondeur ; on use jusqu’à plus soif du micro et de la vidéo pour souligner à loisir le caractère de présentation, l’affirmation d’un stand-up philosophique quelque peu masturbatoire. Il faut bien entendu à tout cela six personnes, négligemment habillées, parlant encore et toujours de leur corps d’un ton détaché, partageant des anecdotes sur leur passé, babillant des lieux communs sur le rôle de la société qui juge et encadre corps comme esprit. Il faut aussi – surtout, surtout – que quelques-un(e)s se déshabillent sans aucune raison apparente. Sinon le fait que l’on se livre – c’est très important, de se livrer ; et comme cela se fait sur scène, il faut bien entendu ôter tout le « superficiel ». Et puis on danse, on danse, on danse. On secoue le corps par automatisme, sur de longues plages, ou encore complètement à poil, histoire de pimenter un peu la valse viennoise.

De toute évidence, avec « Projecto Continuado », on est loin, très loin de l’essentiel. On flotte même très haut ; et c’est presque terrible de se dire que cela ne gêne toujours personne de naviguer dans ces eaux de la quintessence du conventionnel, sans vague à l’horizon. Encore une goutte dans l’océan d’un théâtre qui n’a de théâtre que le nom. Il subsiste bien, pourtant, ce sentiment de laisser-aller ; celui-là même que vous ressentez à 2 heures du matin, en tombant, dans un état peu ou prou normal, devant une émission de télévision (cette dernière ayant été allumée machinalement, vieux réflexe de la main à qui le cerveau a ordonné d’arrêter de trop réfléchir). Alors, confortablement installé(e), vous acceptez bon gré mal gré ce que l’on vous donne en pâture. Des corps qui se trémoussent, qui se collent, se percutent. Un discours philosophique de présentation écrit par-dessus la jambe. Un piano qui ressasse quelques mélodies, quelques-unes dignes de bars du Far West. Vous avalerez ce cocktail aussi improbable que vu et re-revu, en vous disant qu’il y a sans doute une sorte d’éclat caché dans l’ensemble.

À vous de juger s’il est vraiment indispensable de parler de la Seconde Guerre mondiale ou encore de passer le quart du spectacle en tenue d’Ève pour brosser une sorte de portrait accéléré et décousu de la danse. Comme toujours, vous pourrez tenter de démêler le bon de la vacuité de cette proposition, pour le moins non originale mais vibrant par moments d’une poésie inattendue.