Guilherme Botelho danse ce que vivre signifie

Normal.

(c) Gregory Batardo

La dernière création de la compagnie Alias a une particularité rare et signifiante : elle s’adresse autant à la conscience affûtée ou novice du spectateur de danse contemporaine qu’aux recoins les plus enfouis de nos inconscients récalcitrants. Et malgré une première lecture qui pourrait lui prêter des accents mélancoliques, c’est avant tout un hymne à la ténacité ou simplement une définition dansée de ce que vivre signifie.

Sur le plateau, ils sont sept à se livrer à cette cérémonie ritualisée, à cette forme répétitive mais non similaire qui transforme cette masse organique en chœur muet qui accepte, pour la seule beauté du geste, la mise à mal des corps. L’épuisement physique transpire la douleur mentale qu’il faut combattre de front, celle qui ne semble plus en finir de venir les faire flancher. Car il ne s’agit jamais de déséquilibre mais bien de chute, d’appel irrésistible de la gravité, d’abandon momentané des forces, de l’instant qui laisse s’échapper le dernier espoir. Les poids des corps qui tombent paraissent soudain infinis et la musique électro-mélodique les accompagne dans cette densité. Comme on tombe de sommeil, comme on tombe amoureux ou simplement de sa chaise. Le sol pour horizon final, les lignes des danseurs font tanguer les verticales dans un mouvement perpétuel aux multiples variations subtiles. Le salut, comme le prophétisait Emmanuel Levinas, vient des visages. Merveilleux porteurs des émotions, ils trahissent l’instant en révélant au dehors, dans une expression soudaine et partagée par tous, les mystères du dedans. L’intensité des regards et la fragilité d’une main qui tente une approche, un sourire, un faux sourire, les têtes d’apparat et les mines des mauvais jours s’enchaînent à chaque tentative d’érection. C’est une pièce chorégraphiée délicatement théâtrale que Guilherme Botelho livre sur scène ; lui qui souhaitait traiter de la résilience (concept psychanalytique salvateur et très utile en de multiples occasions) offre au public un concentré de courage, une leçon de combat de vie à la manière des maîtres zen, tomber sept fois se relever huit.

« Ecrire c’est hurler sans bruit » : Marguerite Duras définissait son médium d’expression comme le chorégraphe tente ici d’enrichir le sien avec un sens de l’oxymore qui atteint son paroxysme dans l’image finale, d’une justesse qui force l’admiration. « Normal. » est en réalité une preuve par le geste de l’ineptie de la normalité et un manifeste qui sublime la capacité de l’homme à encaisser les chocs et à se mettre debout à nouveau. Un talisman ou un cadeau qui se transmet à ceux qui comptent, c’est une dose de danse radicale et hypnotique que l’on emporte avec soi longtemps après avoir quitté la salle.