Début de la fin

Reconstitution

©Tristan Jeanne-Valès

« Reconstitution » est un cadeau. Celui d’un auteur metteur en scène à deux comédiens. Dans un geste similaire à « Clôture de l’amour », écrite pour Audrey Bonnet et Stanislas Nordey, Pascal Rambert a conçu cette pièce à la demande de Véro Dahuron et Guy Delamotte, codirecteurs du Panta-théâtre de Caen. Un dialogue doux-amer, qui joue de la sorcellerie évocatoire des amours défuntes.

« Reconstitution » est un laboratoire. Un homme et une femme se retrouvent dans une salle de répétition, un lieu qu’ils voudraient neutre, pour rejouer la scène de leur première rencontre. Mais l’espace se transforme progressivement en chambre de torture et de règlement de comptes, puisqu’il s’agit de souffler les cendres d’un amour passé. Les pièces à conviction s’étalent sous la lumière crue, sur des tables jonchées de boîtes en carton emplies de souvenirs et de livres. Les restes du couple.

« Reconstitution » est un rituel. Où l’on tente de reconstruire le petit théâtre de la passion. Un cadre en bois est monté, une bâche est déployée en guise de rideau, quelques bougies, un peu de fumée… et le tour serait-il joué ? La recette n’est pas si facile. Il ne s’agit pas, ici, de re-cuire le cake d’amour. Pascal Rambert nous livre une image brute ; celle de la « soupe simple », la soupe de la clôture, composite de légumes, pages de romans, photos et lettres du passé. La soupe à la grimace, qui devient la condition sine qua non de la réconciliation. Une mixture que les deux protagonistes avalent consciencieusement, comme le dernier repas du condamné.

« Reconstitution » est un tue-l’amour. Car c’est bien une scène de crime qu’il s’agit de rejouer ici. Considérant que reconstituer, c’est aussi tuer, mettre à mort le souvenir, éparpiller les indices, brûler les pièces à conviction. Les boîtes « ont l’odeur du cadavre » que fut ce couple, son « odeur commune morte ». Le spectacle file une métaphore aussi courante qu’efficace, et qui pourrait être l’énigme du sphinx. Guy et Véro commencent par s’échauffer, les quatre fers en l’air, dans la position de l’enfant heureux, puis font « le cadavre » et finissent nus, dépouillés, allongés sur une table, comme à la morgue. Avec cette incertitude finale qui plane. Quelqu’un est-il mort, vraiment ? Un doute que seul le théâtre est capable de semer.

« Reconstitution » est une femme. Mais qui ne serait pas sortie de la côte d’Adam. Comme pour Audrey dans « Clôture de l’amour », la plus belle partition est pour Véronique. C’est elle qui dirige, qui met en scène et qui dénoue, dans une longue tirade où se superposent et s’entassent les reproches et les voix. Celles de la mère, de la fille, de la femme désirante et blessée, dans une sorte d’expiration continue. Une logorrhée cathartique, qui transforme un amour mort en amour jusque dans la mort, indéfectible, main dans la main. Car Véronique « est dans l’espace de l’amour, c’est-à-dire, de la détermination », tandis que Guy serait du côté du « réel » et de la désillusion. Pas du côté du théâtre.

« Reconstitution » est une vanité contemporaine. Elle nous montre l’aporie de toute réactivation démiurgique de l’amour, le danger de toute forme d’hybris. Mais c’est aussi une ode au théâtre, qui s’emploie à répéter encore et encore jusqu’à réveiller les fantômes. C’est ainsi que les images mortes, les phrases douloureuses et les répliques assassines sont subsumées sous la joie du jeu et de l’écriture au plateau.

« Reconstitution » est une déclaration d’amour aux comédiens et au plaisir infatigable qu’ils ont de recommencer. Ces deux interprètes ont su nous communiquer cet amour-là, qui ne meurt pas.