Supporter d’être supporter

One song - Histoire(s) du théâtre IV

(c) Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Performance épuisante sur l’épuisement, l’« Histoire du théâtre IV » de Miet Warlop, « One Song », est un réjouissant rituel de transpiration musicale, qui peine néanmoins à tenir la durée.

«One Song » porte bien son nom, vu qu’une seule chanson est déroulée une heure durant. Elle a le mérite d’être lentement déployée après un discours introductif burlesque, chaque performeur s’installant à son poste sportif : le piano est sur une échelle de gymnase, le violoncelle sur un tapis d’abdos… À chaque instrument, une activité : le chanteur, quant à lui, est sur tapis roulant, dont le rythme varie en fonction du métronome. Derrière lui, un groupe de supporters s’époumonent en encouragements : la chanson est un étrange concours sportif, qu’il faut remporter sans se demander pourquoi. Aucun doute, la performance est déroutante – les muscles raidis lâchent, mais il faut continuer à jouer, quitte à risquer le malaise : ça hurle pour résister, jusqu’à en crever, et au diable celui qui ose ralentir le rythme. Pendant ce temps, un pom pom boy drolatique, quand il n’égaie pas le plateau, dispose des plaques de plâtre avec un certain goût pour le chaos. Dessus, une palette de mots courts : why, never, up, hey, etc. – qui pourraient être ceux d’une chanson pop ou d’un coach de développement personnel : l’imagination fait le reste, les mots eux aussi supportent les musiciens, et le spectateur prie pour qu’ils tiennent jusqu’au bout. Du moins pendant une partie du spectacle, car la chanson se répétant à l’infini, la performance, même impressionnante, peine à captiver tout du long : d’ailleurs, les supporters au plateau, eux-mêmes épuisés de soutenir leur idole, s’empoussièrent et tombent dans une léthargie qui les confine au sommeil.

C’est un peu pareil pour nous en esprit : d’abord on est supporter du spectacle, ensuite il faut le supporter ; le principe est si lisible que l’on comprend, au bout de 20 minutes, de quoi les 40 dernières seront forgées. On dira que c’est l’idée de Miet Warlop, difficile de reprocher à ce qui s’épuise de prendre trop son temps : ça s’éprouve dans la durée, il faut une heure pour achever les performeurs (à part peut-être le batteur, infatigable). De deux choses l’une : la scénographie présageait de véritables olympiades, dans lesquelles le parcours aurait muté (et la chanson avec) sans rien abîmer du concept d’épuisement. Or Miet Warlop, en s’obstinant sur la même mélodie et le même parcours (mis à part quand un musicien a besoin d’une pause), s’empêtre un peu dans les vieilles lois de la performance : une action a commencé, il faut l’emmener jusqu’au bout quitte à sombrer dans l’ennui, mais l’ennui est fructueux, etc. ; et autres vulgates de l’avant-gardiste en herbe. Ou alors l’épuisement de la proposition de Warlop elle-même tient au propos assez discret qui se glisse entre les grosses mailles de « la performance sur la performance » : un groupe de jeunes blancs affriolants qui obéissent à une septuagénaire mi-sénile mi-démiurge et qui, au bout du compte, concluent leur passage par un bizarre chant patriotique (une autre chanson, enfin). C’est fascisant à souhait, et le chanteur, jeune blond dont les cheveux longs flottent au vent sous un drapeau imaginaire, prend un côté Jeunesses hitlériennes : l’onomatopée « Knock Knock », mantra du refrain, devient alors le symptôme de l’abrutissement que ces jeunes s’imposent à eux-mêmes. Mais l’idée reste assez en filigrane : sans variation de la forme ou enflement du fond, « One Song » est donc une proposition qui, malgré ses atours extrêmes, reste sympathique sans parvenir à renverser.