« Après la répétition » est un film tardif (1984) d’Ingmar Bergman, c’est l’histoire d’un metteur en scène vieillissant qui ne vit que pour sa passion du théâtre. « Pour lui, le théâtre, c’est tout » dit Ivo Van Hove. « Persona » est presque l’inverse. Le film culte du cinéaste suédois (1966) avec Liv Ullmann raconte l’histoire d’Elisabeth Vogler, une actrice, qui au beau milieu d’une interprétation d’”Electre”, devient soudain muette. « Pour elle, le théâtre n’est pas la vie. Il implique même de s’en extraire » précise le metteur en scène néerlandais.
Un metteur en scène (Charles Berling) prend des notes sur un canapé blanc, le décor est une salle quelconque de répétition : un bureau, des chaises, une console, une caméra vidéo. Il est rejoint par deux actrices, la mère (Emmanuelle Bercot) et la fille (Justine Bachelet) qui (trente ans plus tard) joue un rôle dans sa pièce. Ce sont donc deux époques, deux pièces, deux femmes, deux désirs, et deux dialogues différents, pour évoquer le théâtre, le jeu, le désir, la vie. Ivo Van Hove avait déjà monté les deux pièces du Suédois dans sa langue maternelle, il crée au Printemps des comédiens, à Montpellier, une version française de sa mise en scène en deux parties (1h15 pour chaque pièce) avec des acteurs français. Jean Jourdheuil, le traducteur d’Heiner Müller, distinguait deux théâtres : dans le théâtre dramatique, le corps de l’acteur est au centre du geste théâtral (comme chez Chéreau), dans le théâtre post-dramatique, tous les matériaux scéniques, le décor, les sons, les voix, les corps se mêlent dans un geste dont le plateau est le centre (Tanguy par exemple). Il ne s’agit pas de comparer Van Hove aux deux metteurs en scène, mais de distinguer ses deux pièces comme deux gestes fort différents. Avec « Après la répétition », on est dans un théâtre d’acteurs, la mise en scène naturaliste est très classique, on peut admirer le numéro du personnage de l’actrice hystérique d’Emmanuelle Bercot (une femme passablement ivre qui a peur de vieillir et voudrait retrouver le désir, physique et professionnel, de son amant et metteur en scène) – certains esprits sévères s’en agacent pendant l’entracte, mais son jeu est précis, engagé, un modèle pour l’acteur-studio. Sa fille est aussi très juste dans un profil plus en retenue. Cependant, la mise en scène reste trop sage, trop attendue, trop collée à son sujet. On peut même oser une critique du grand maître : comme les personnages de la mère ou du metteur en scène, ce scénario de Bergman a un peu vieilli lui aussi.
En revanche, après la pause, « Persona » propose un tout autre paysage théâtral. La pièce commence dans la même pièce fermée et vide, c’est désormais l’hôpital, où l’actrice nue (Bercot) est enfermée dans son mutisme. Comme si sa vie – théâtrale – ne parvenait plus à respirer, elle est prostrée sous nos yeux. Une infirmière, Alma (Bachelet) est à son chevet, les médecins n’ont décelé aucune anomalie physique. Dans le film de Bergman, Alma va essayer de la ramener à la vie en l’emmenant dans sa villa au bord de la mer. C’est ici que s’envole la mise en scène de Van Hove. Ce qui étouffait s’ouvre pour prendre de l’ampleur. Quelque chose de la représentation s’effondre et ouvre la pièce, le jeu, la scénographie. On est au bord de la mer. Le plateau est petit comme le théâtre est humble parfois. Les acteurs sont plus tenus, plus silencieux, plus petits dans l’espace, mais on les regarde étrangement davantage. Puis, c’est une pluie propulsée par des ventilateurs, et des lumières oranges, bleues, le corps des deux actrices reviennent à la vie dans ce duo qui touche quelque chose de sensible. On l’aura compris, le théâtre d’acteurs de Van Hove nous a moins convaincu que sa capacité à inventer un paysage en ouvrant nos yeux.