© Pierre Planchenault

Alors que les forces en présence se déchaînent et qu’un torrent de feu se déverse à nouveau sur l’ancienne province romaine de Judée, Ahmed Tobasi, actuel directeur artistique du Freedom Theater de Jénine, en Palestine, a choisi la voie du théâtre pour raconter l’histoire intime de l’enfant qui a grandi en territoire occupé et qui, devenu adolescent, prend maladroitement les armes pour défendre un idéal qui s’effondre aux premiers coups de feu.

On assiste au terrible périple d’un homme qui, ayant rencontré par hasard le théâtre, le fuira, comme on fuit un pays en guerre, avant que ce dernier ne s’impose à lui par la force des événements. Le plateau, envahi de plastique et d’objets disparates, n’est pas sans évoquer les terrains vagues de Jénine et ses monticules d’ordures au milieu desquelles les enfants s’ébattent joyeusement en toute innocence, jouent et s’aiment. Tous ces détritus deviennent en réalité les merveilleux artifices d’une odyssée mémorielle. Ahmed Tobasi nous rappelle, une fois de plus, que la puissance de l’art théâtral réside dans sa pauvreté. Patrice Chéreau disait que le théâtre n’est que de la pacotille, mais « une pacotille importante et futile ». Ce qui importe dans le travail de Tobasi, ce n’est pas la performance, aussi énergique et brillante qu’elle soit – et le dramaturge-comédien parvient à nous embarquer à ses côtés dans ce long voyage qui le mènera de Jénine jusqu’en Norvège. Ce qui importe, ce sont tous ces objets répandus au sol et qui entourent le comédien ; ils représentent symboliquement l’acharnement admirable de ces femmes et de ces hommes à faire vivre l’art, le théâtre et la poésie au milieu des décombres de guerres incessantes.

Comment comprendre alors que certains décident, sans autre forme de procès, de déprogrammer – il semblerait qu’il faille plutôt dire, en langage administratif, « reporter » – la performance d’Ahmed Tobasi ? Il faut se rendre à l’évidence : pour pasticher Voltaire, d’aucuns croient avoir acquis le droit de juger et de condamner ce qu’ils n’entendent pas. L’ignorance commence là. Et le Glob Théâtre de Bordeaux l’a bien compris en choisissant, lui, de ne pas modifier sa programmation et d’accueillir, avec Ahmed Tobasi, une part d’humanité sur le plateau.