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Le festival MMusica a l’habitude des propositions qui font un pas de côté. Au TNS, c’est à un concert mis en scène de la 35e symphonie de Mozart que convie l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, sous la direction de Jean Deroyer : un objet hybride et ludique conçu par Séverine Chavrier et Pierre Jodlowski qui semblent avoir relevé un défi de l’Ouvroir de musique potentielle.

Parmi les nombreux commanditaires viennois de Mozart, Sigmund Haffner senior et junior occupent une place centrale au tournant des années 1770-80. Dans le cas de la KV 385, c’est Léopold Mozart qui, comme souvent, joua ce rôle d’imprésario en pressant une nouvelle commande (les esprits taquins y verront un stratagème pour retarder le mariage de son fils avec Constance Weber, qu’il désapprouvait). Wolfgang exécuta d’abord sous la forme d’une sérénade qui se mua par la suite en 35e symphonie. Celle-ci, connue désormais sous l’appellation « Haffner », est la célébration d’un ennoblissement et ne laisse, quelles que soient les interprétations, aucun doute sur son caractère exaltant et cérémoniel, que le compositeur conseilla d’ailleurs de jouer « avec beaucoup de feu ».

Délaissant volontairement toute contextualisation historico-musicologique,  « KV385 » choisit de disloquer l’univocité apparente de la Haffner : après un thème introductif segmenté et ponctué de zooms de caméra sur l’orchestre, il se transforme en matière sonore propice aux expérimentations visuelles et bruitistes de Pierre Jodlowski que l’on retrouve ici toujours aussi avide de métissage entre l’image et la musique. Parfaitement dénarrativée, la KV 385 devient le sous-texte à une exploration hallucinée dont le choix du titre, d’ailleurs, relève non seulement d’une extraction d’archivage mais aussi d’une étiquette de classement informatique : au centre du dispositif, d’extravagants « modules » pilotés par une voix d’IA imposent aux musiciens de jouer une série de séquences sous contraintes façon OuMuPo. Par exemple, une série de dix secondes de crescendos de piano à forte, d’applaudissements de l’orchestre, de solo vocal de l’IA, de choix d’accords semi-aléatoires – moment hilarant dans lequel on aura compris, si l’on en doutait, que le morceau est en majeur–, ou encore d’un simple silence, qui est encore du Mozart, bien évidemment.

Le postulat de déjouer une œuvre sous visée de déstructuration créatrice fait plus ou moins l’impasse sur l’exposition explicite du génie compositionnel de cette « sonate symphonique », des modulations mineures du développement jusqu’à l’intensité frénétique du presto final hachuré ici de décomptes en 4/4 et d’un sous-rythme de boléro. Les oreilles déçues iront réécouter les enregistrements de George Szell avec l’orchestre de Cleveland (Szell qui, soit dit en passant, passa dans sa jeunesse par la case philharmonique strasbourgeoise, la boucle est bouclée). Mais les éphémères bribes électroacoustiques de Jodlowski mises en espace par Chavrier sont l’agent révélateur de la multidimensionnalité de la musique de Mozart, et surtout le vecteur, par delà l’embrouillage ou plutôt le réencodage sonore, de son ludisme jubilatoire, à l’instar de cette séquence où les musiciens refont le thème à cappella.