© Sanne Peper

Impressionnante cette adaptation de Médée l’est en raison d’une virtuosité qui ne laisse rien hors de sa puissance. Ainsi est-ce l’ensemble de l’art théâtral – corps, voix, vision plastique et structure dramaturgique – que Simon Stone semble saisir d’une maîtrise souveraine.

Quant aux comédiens du Toneelgroep Amsterdam, dirigés depuis plus de 15 ans par Ivo van Hove, ils participent grandement, par la vélocité de leur jeu, à cette démonstration impériale. C’est aussi un sens affirmé de l’épure qui préside à cette mise en scène, à l’image de ce vaste espace d’un blanc sans fond, et d’une luminosité bien plus clinique que mystique. Le blanc ici, non pas la plénitude d’une vision béatifique, mais la vacuité d’une psyché qui se déglingue, non pas une couleur, mais son absence, non pas un plein, mais un vaste vide. Pourtant ce blanc est aussi le déploiement d’une puissance et d’une maîtrise sans reste, sans plis et sans ombres, où se dessine le spectre d’Ivo van Hove, nouvel hégémon de la scène européenne.

Dans un célèbre article de 1954, François Truffaut dénonçait la « Tradition de la qualité » qui caractérisait selon lui le cinéma français d’après-guerre, cette « Qualité française » qui, au détriment de la singularité du geste d’auteur, se manifestait d’abord par sa virtuosité technique : cadrage léché, habileté de l’adaptation textuelle, obsession de la belle image, autrement dit tout ce qui caractérise aujourd’hui une certaine tendance du théâtre européen. De ce point de vue, la collaboration entre Simon Stone et Ivo van Hove s’inscrit aussi dans la constitution d’une forme de tradition de la qualité théâtrale en grande partie néerlandophone.

Mais si le metteur en scène flamand cédait dans ses dernières créations – on pense notamment aux Damnés – à un sens outré du spectaculaire, Simon Stone parvient au contraire à se maintenir dans une épure qui ne sombre jamais tout à fait dans l’épate. Quant à ce reste qui nous manque, à savoir cet écart par rapport à l’hégémonie de la qualité, il adviendra probablement, car c’est au sein des soldats d’exception qu’émergent les révolutionnaires, et avec eux, les nouveaux législateurs.