Avec « Solo 70 », le danseur et chorégraphe Paul-André Fortier, en collaboration avec l’auteur dramatique Étienne Lepage, accompagné sur scène de l’acteur Étienne Pilon et de la musicienne Jackie Gallant, se livre entièrement, sans artifice, revendiquant un corps marqué par le passage du temps qui refuse d’abdiquer. Présentée sous forme d’un ralentissement et d’une désorganisation du rythme, la vieillesse reste cependant sans incidence sur la puissance d’un corps – dont les stigmates de l’âge sont assumés et montrés sans complaisance – revitalisé par les énergies extérieures (musicale, vocale et visuelle). Seul personnage en mouvement pendant de longues minutes silencieuses, Fortier évolue à l’intérieur d’un carré, en glissant, marchant ou « nageant », dans toutes les directions, de façon symétrique et régulière. Puis le mouvement se fait hésitant, marqué par les petits pas de côté et une arythmie, comme une indécision rapidement maîtrisée afin de reprendre le cours normal de ce voyage, pour enfin ralentir, pause indispensable face à cette entropie intérieure au rythme létal.
Mais l’augmentation de ce chaos intérieur est cependant tenue à distance dès lors que l’énergie de la musique (rock ou aquatique en l’espèce) et la violence de la parole radicale du texte de Lepage, redonnent au corps vieillissant – que Fortier n’hésite pas à montrer quasi-nu (de dos) – une énergie apparemment inépuisable s’il accepte un instant d’immobilité, seule possibilité apparente d’ouverture aux influences vitales extérieures. Il résulte de ce conflit violent, entre le choix de s’opposer ou d’accompagner cette évolution entropique morbide pourtant inévitable du corps, certains moments absolument poétiques – fuite impossible du danseur devant l’acteur ; image vidéo en arrière-plan de l’ombre de Fortier s’échappant de l’écran, défi à l’immobilité affichée sur scène -, poésie qui renforce la puissance narrative du propos des auteurs. Prestation hypnotique, donnée par cet artiste de 70 ans qui semble inlassablement recommencer sur scène son ouvrage avec vitalité et bonheur, « Solo 70 » illustre avec force la magnifique injonction de Camus : « Il faut imaginer Sisyphe heureux ! »