Les rêveries de Marc-Antoine Mathieu

3 Rêveries

Explorant encore davantage les frontières de son travail plastique sur l’objet-livre, Marc-Antoine Mathieu publie ce mois-ci aux éditions Delcourt “3 Rêveries”, qui tient plus du beau-livre graphique sans mots que de la BD à proprement parler. Un ovni littéraire à la poésie infinie.

“3 Rêveries”, c’est d’abord une mystérieuse boîte noire. Un écrin qui contient trois objets distincts, autant de déclinaisons graphiques des grandes créations humaines : le temps (homo temporis), le faire (homo faber) et la pensée (homo logos). Respectivement : un jeu de cartes géant, un leporello (livre-accordéon) de 80 faces et un rouleau (oui, un rouleau) de 7,5 mètres. Il faut dire que, depuis les aventures de Jules Corentin Acquefacques dans les années 90, Marc-Antoine Mathieu, tel un Chris Ware, a toujours eu le souci de la dimension matérielle et objectale de ses œuvres , comme le contrepoint nécessaire à la tentation d’abstraction et de sur-symbolisation qui caractérise ses histoires. Et d’histoire, ici, il n’y en a pas, ou plutôt trois récits poétiques de l’histoire de l’humanité, sans paroles, laissant à l’image – et à son support-artefact – le soin de d’exprimer sur le sens. Quant à ce dernier, précisément, la forme même de ces trois “poèmes” convie, comme dans l’album “Sens” paru en 2014,  à une linéarité en trompe-l’œil, tant les créations de Mathieu supposent des allers-retours permanents entre le regard du lecteur et la chose vue. C’est de cette dialectique que naît une poésie qui échappera peut-être aux bédévores les plus passivement accrochés à leurs bulles ; Mathieu requiert du lecteur qu’il soit cet agent borgesien recréant le livre à chaque lecture. Mais quelle récompense si l’on se laisse immerger dans l’espace-temps de rêverie qu’il propose ! Car “la main a libéré l’espace, et le temps (…) ce temps proprement humain, qu’en reste-t-il, quand tout a été fait, que tout est pensé, que tout sera dit ? De la rêverie.” Que le prix élevé ne décourage pas les hésitants : “3 Rêveries” fait partie de ces œuvres aussitôt cultes tant elles témoignent d’un inconscient collectif qui dépasse la seule volonté de leur auteur. Est-il besoin d’ajouter que l’offrir à Noël, c’est rendre le monde un peu meilleur ?