Toi, tes poils et puis ta bouche

© Iris Janke

Cela fait déjà trois ans que Meg Stuart, ses danseurs et ses musiciens parcourent les scènes du monde avec cette fresque charnelle aux allures de trip sous acide. C’est qu’il y a quelque chose dans la danse de la chorégraphe américaine qui vient nous chercher, quelque chose de foncièrement humain qu’il est impossible de fabriquer.

Dans un silence religieux, les corps se rencontrent, rampant sur la moquette mauve qui recouvre le plateau, explorant les possibles, s’agrippant entre eux de plus en plus fort. Ce qui ressemble à un innocent jeu d’enfants se transforme peu à peu en une lutte animale animée par le besoin de se toucher les uns les autres, de se sentir, de se renifler, de se shooter au parfum de l’autre. Ils se débattent, s’arrachent leurs vêtements, gémissent et soupirent… de plaisir ? Il n’y a cependant là rien de sexuel, rien d’érotique ; du sensuel tout au plus. Alors pourquoi la salle retient-elle ainsi son souffle ? Certains détournent le regard ou s’enfoncent dans leurs sièges : le malaise est palpable. Et pourtant, des gens tout nus au théâtre, on en a vu. Mais ce que nous renvoient ces corps déchaînés, dénués de toute pudeur, comme un miroir cru et pénétrant, c’est notre quête éperdue de l’autre, cette recherche sans but qui nous dévore. Et ce n’est qu’une mise en bouche. Envoutés par un jazz destructuré joué live par trois musiciens parfaitement intégrés à la dramaturgie, les danseurs entrent dans une transe primitive hypnotisante. La proposition de Meg Stuart repousse les limites de l’intimité jusqu’à ce que les dernières barrières s’effondrent. Nous n’en dirons pas plus, l’expérience est à vivre. Né d’un travail d’improvisation quasi-spirituel, « Until our hearts stop » est une performance d’endurance qui joue avec nos nerfs et demande à ses interprètes un abandon sans retenue. Et sa réussite repose sans aucun doute sur la générosité des artistes qui la portent. Meg Stuart s’est entourée de personnalités fascinantes capables de trouver en eux une sauvagerie authentique tout en restant en totale conscience de la scène, du public et du spectacle. « Until our hearts stop » nous remue, nous retourne, nous provoque, nous fait rire souvent, nous rebute parfois. Bref, nous fait quelque chose. Des sensations qui restent.