© Nicolas Descoteaux

Le geek aime quand la fiction enveloppe le réel d’une couche d’aventure supplémentaire, si bien qu’elle devient indiscernable du monde sur lequel elle s’est déposée : le voilà dans sa bulle, les racines réelles du monde s’enrubannent d’histoires fantastiques à chaque coin de rue. Alors que fait le geek quand il va mal ? Il avait une copine, présumons qu’elle le largue : les racines pourrissent, il faut épaissir la couche d’aventure. — Autrement dit, la fiction est une thérapie à la mesure de son mal-être. 

Caricatural ou pas, c’est le portrait que l’auteur québécois Guillaume Corbeil brosse d’un alter ego en rupture amoureuse au fil de « Pacific Palisades » : la cuisine de l’appartement est plus moche une fois la copine disparue. Au plus vite, il doit repeupler le monde imaginaire que la relation muselait dans un carton de l’esprit : quel bout de réalité épaissir, jusqu’à croire dur comme fer qu’il suinte du fantastique ? Piochons dans une rubrique fait divers : un détraqué à la Bob Lazar, qui prétendait être mi-alien mi-humain. À défaut de cacher une soucoupe, l’homme entrepose, entre autres, une voiture pour aller sous l’eau, 1 200 armes et deux tonnes de munitions. Pas besoin de plus pour le Guillaume Corbeil de la pièce : il s’évapore de Montréal pour enquêter à Los Angeles. Avec pour idée de ne surtout pas démêler le vrai du faux ! — Comme en peinture, le détective imposteur cherche à produire un impasto, quand la matière artificielle se détache du paysage qu’elle a pourtant composé : le factice et le véridique deviennent alors indissociables.

« Pacific Palisades », dont le paratexte promet à tort une aventure de science-fiction, est donc une pièce sur la solitude : les histoires de l’esprit en seront le baume. À qui l’objective, elle défend une vision plutôt simpliste de l’acte de création, que l’un des personnages, alter ego d’un vrai fan de “Star Wars”, allégorise au mieux : pour échapper à la douleur, même mortelle, mieux vaut s’enfuir sur Tatooine. Florent Siaud, à la mise en scène, renforce ce trait de sens : le Guillaume Corbeil de la pièce est lui-même incarné par une femme, et les autres personnages sont juste des voix… Dans sa tête malade ou à Los Angeles ? — Peu importe, le désir de fantastique est trop grand pour décoller l’un de l’autre. Sans effleurer la référence à Lynch dont le duo se revendique à tort, « Pacific Palisades » aura donc prétexté l’histoire sordide de Jeffrey Lash pour raconter, à travers l’alter ego de Guillaume Corbeil, la génétique presque schopenhauerienne de l’oeuvre : une parabole à tiroirs, certes, dont ni la dramaturgie, ni la mise en scène ne peuvent pourtant honorer la timidité du propos.