© N. Kabanow

Frappante analogie que celle entre Krystian Lupa et la protagoniste de Garcia Lorca.

Bernarda Alba est celle qui croit « tout gérer » mais qui se voit contestée par les désirs souterrains de femmes enmaisonnées. Lupa est ce metteur en scène archi-régisseur – particulièrement loquace ce soir là depuis son micro qui va jusqu’à moquer les spectateur.rice.s fuyant.e.s – qui semble buter autant contre ses personnages féminins que contre un geste dramaturgique des plus brouillonneux. Un « maître » qui paraît rêver d’être dessaisi. Les mythiques lignes rouges qui bordent comme toujours chez lui le cadre représentatif sont, symptomatiquement,  plus souvent franchies que suivies. Le feuilletage de l’image scénique illimite moins le visible qu’il organise ici des cadres échappatoires, comme celui permettant finalement à Ardela de courir au-delà de toute image (une ultime contestation trop théorique de l’optique théâtrale par l’actrice qui n’est pas sans rappeler la conclusion brillante du « Julia » de Jatahy). 

Voici donc un Lupa qui, malgré quelques remarques nerveuses contre les couacs de lumière, paraît faire un retour en acte sur lui-même mais qui déploie un geste trop capricieux pour qu’on y croit à tout à fait. Car, hormis pour de vagues liens politiques (deux écrivains ayant vécu dans des contextes politiques séquestrés) et de rapides échos thématiques (tous deux renvoient dos à dos la frustration féminine et la lâcheté masculine), « La Maison de Bernarda Alba » et « L’Été de la vie » ne se rencontrent jamais et se hiérarchisent sans cesse. La pièce de Lorca est magistralement investie : le sens presque obscène du tragique quotidien, le temps sans promesse explosé par des pensées sourdes et des éventails crécellants, le tissu désespéré du vivant que Lupa sait comme personne diffuser sur un plateau soulèvent sublimement le duende malade de Lorca. Le roman biographique de Coetzee quant à lui, déjà peu lupien sur le papier car littéral et finalement complaisant, reste paresseusement illustré dans la deuxième partie. Maison théâtrale ouverte aux quatre vents, l’opus lupien vaut paradoxalement bien pour mieux pour ce qu’il maîtrise et tient entre ses griffes – cette grammaire du temps qui ressuscite la vieille complainte lorquienne – que pour ce qu’il entend révolutionner et trouer de lui-même. On se tient bien mieux entre les lignes lupiennes que sur ses prétendus balcons.