© Simon Gosselin

L’écart suggestif du théâtre semblait judicieux pour évoquer le 13 novembre, là où les images frontales du cinéma (celles du « Revoir Paris » d’Alice Winocour en particulier) ont souvent été soupçonnées d’inconvenance. 

Denis Marleau mise d’ailleurs sur l’esthétique la plus épinalement théâtrale qui soit : un plateau à machines, un sol qui littéralement s’abîme au gré du tangage textuel. Sa grammaire, fort croyante en de vieux pouvoirs de la représentation, redouble une écriture elle-même investie d’une antique mission cathartique. En effet, le texte de Laurent Gaudé tragédifie à vue les attaques du 13 novembre, dans des glissements constants entre faits ordinaires et allégories épiques, entre réalisme et lyrisme. Cette ligne de crête induit ici des présences aussi brutes qu’emphatiques, un chœur sans grandes aspérités (d’abord parce que tous.te.s parlent la même verve gaudéenne), mis au service d’une certaine idée du théâtre purgateur : celle que le plateau-tableau adresse moins des blessures qu’il renvoie prioritairement, dans son éclatante unité et autorité formelles, chaque spectateur.rice à ses propres cauchemars.

Rêvée alors comme seuil de noirceur (Marleau n’a pas monté Maeterlinck pour rien), la scène a pourtant peu agi sur nous, le metteur en scène trouvant moins une choralité radicale qu’un groupe d’incantateur.rice.s appliqué.e.s et à l’intériorité lissée. Et Gaudé écrivant moins une tragédie contemporaine (celle qu’avait réussie Vinaver un an à peine après 2001) qu’un mélo expressionniste qui dépolitise et qui, en l’empathisant, amaigrit paradoxalement l’attentat en fait divers. Sous la plume nostalgique de Gaudé, qui au lieu de faire corps avec la catastrophe inouïe de ce jour impose une vieille patine tragique, la réalité terrorisée devient en effet cette inconséquente réalité hasardeuse, soumise à la fortune, que Calogero chantait déjà dans « Un jour au mauvais endroit. » Le théâtre aura donc à se ressaisir une prochaine fois de ce récent passé qui ne passe pas, dans une forme qui, à l’égal de l’historique « V13 » d’Emmanuel Carrère, saura le mettre au présent.