Dans le cadre de la 46e édition des Hivernales, organisées par le CDCN d’Avignon, Younes Aboulakoul présentait “AYTA” dans la salle Benoît 12. “Quad” est une des dernières œuvres, muette, de Samuel Beckett, sur la répétition mathématique des mêmes pas, à l’intérieur d’un carré blanc. La chorégraphie d’Aboulakoul commence aussi avec des répétitions-variations de pas proposées par les six interprètes. Le titre de sa pièce désigne « le cri en arabe dialectal marocain » nous explique le chorégraphe à la sortie du spectacle. On lui parle du texte de Deleuze sur le travail de Beckett, L’épuisé, mais “AYTA” est davantage pour lui un hommage « à toutes les personnes que l’on tente de faire plier mais qui résistent et rayonnent par la verticalité retrouvée. » Au-delà (ou en deçà) des intentions de verticalité, c’est la forme de l’épuisement qui nous saisit dans la durée pendant le spectacle. On pense au chorégraphe italien Alessandro Sciarroni qui travaille sur l’épuisement dans la durée. Dans “The Collection”, les danseurs du ballet de l’opéra de Lyon dansaient inlassablement le même motif dans un combat avec la salle qui se vidait de ses spectateurs, comme s’ils ne voulaient plus arrêter de danser tant que nous sérions encore assis à les regarder.
Le début de la pièce de l’artiste marocain est plus conventionnel, mais la tension croit dans la durée quand on s’étonne (et de plus en plus) de la force qu’il faut aux six danseuses, notamment dans le dernier quart d’heure, pour balancer leurs cheveux, si énergiquement, dans une métrique vive, saccadée, nerveuse, sans jamais ralentir, sans rompre. La pièce gagne dans la fatigue, l’endurance, l’épreuve, l’épuisement dépassé. Les six jeunes femmes nous murmurent sans le dire que les corps sont d’ailleurs, peut-être, plus résistants encore que les esprits. « Vous ne savez pas ce que peut un corps » cria Spinoza dans “L’Ethique”. On n’en sait guère plus en applaudissant, mais on est allés plus loin dans l’expérience de tout ce que le corps peut endurer avec ces six magnifiques interprètes que rien ne fait plier : Nefeli Asteriou, Marie-Laure Caradec, Sophie Lèbre, Cassandre Muñoz, Anna Vanneau, Léonore Zurflüh.