Europia © Julien Allouf

Le Festival « Reims Scènes d’Europe » se présente au carrefour de scènes européennes, lui-même re-découpé par le réseau artistique rémois dont les multiples lieux de création se fédèrent le temps d’une dizaine de jours. Par essence, en raison de sa généalogie et de l’esprit qui l’anime, le festival porte haut et fort son désir d’union. Anne Goalard, déléguée générale du Festival, affirme que cette mutualisation des efforts « permet de situer les projets dans le cadre d’un échange, provoquant ainsi les convergences ».

Un geste fécond, donc, qui ne lisse cependant pas les divergences mais fait jouer les failles entre elles et creuse les ambiguïtés, à la manière du spectacle programmatique « Fin de l’Europe » qui se joue des absurdités du monde moderne, décline les déclinismes, épuise toute chose pour nous laisser profondément songeurs. Cette alliance « à l’européenne », amenant les lieux à communiquer et programmer ensemble, est ainsi retranscrite dans les préoccupations mêmes des artistes. L’Europe apparaît sous de multiples facettes ; depuis la position de sujet avoué – positivement ou sous le sceau de l’angoisse – jusqu’à celle, plus subtile, de marque d’un jeu, d’une école ou d’une écriture. Car ce sont aussi des positions institutionnelles et personnelles qui se côtoient, déployant des cohortes d’images qui résonnent les unes avec les autres. Les installations performatives « MIRE » ou encore « Vacuum » présentent, par exemple, une variation sur la peinture vivante et virtuose du corps en mouvement, à la façon d’un manifeste esthétique épuré.

Le Festival élargit ainsi le concept d’Europe géopolitique au sens strict pour provoquer une conversation entre les artistes – qu’il s’agisse de figures majeures, qui n’auraient pas forcément eu l’occasion d’être accueillis dans la saison courante, ou de figures plus confidentielles – et avec le public. L’ADN des différents fils rouges présentés est l’enjeu partagé des nouvelles écritures. Résolument tourné vers la création contemporaine, le Festival « Reims Scènes d’Europe » interroge son présent et futur à l’aune d’une profonde réflexion sur l’objet même de festival – comme lieu de création et de partage – que sous-tendent cette année des questionnements croisés. Sur l’enfouissement de la mémoire, d’une part, comme avec « Cine » du collectif espagnol Madrilène Tristura qui aborde l’histoire de vol d’enfants sous la dictature franquiste ; ou encore « Guerre des paysages », fondé sur des textes des grecs Dimitris Alexakis et Illias Poulos, qui peignent l’oubli forcé des crimes de guerre. D’autre part, sur les défis sociétaux contemporains majeurs portant sur l’écologie et l’anthropocène, avec un accent mis tout particulièrement sur les lieux « limites » des pôles, avec « Arctique » ou encore l’installation sonore « NIPI ».

L’objet même de festival se présente alors aux yeux du public comme résolument européen : mettre en jeu des passerelles génériques, s’amuser de multiplier les échanges artistiques féconds… mais partager aussi les inquiétudes de notre temps, sans fard. À cet égard, la superbe exposition « Europia », bien que chargée d’angoisse, se présente comme une surprenante bouffée d’air dans le rythme des spectacles. Le rejet, l’euroscepticisme, la méfiance, transposés dans le monde de l’art, façonnent de nouvelles portes créatives. Plutôt que de tomber dans l’abîme, ceux-ci deviennent prétextes, placés au fondement d’une esthétique et ainsi détournés de leur possible utilisation comme arme idéologique politique destructrice. Depuis l’espace des frontières géographiques, des confins de l’esprit ou des avant-gardes esthétiques, les artistes ré-interrogent le centre et la norme, employant une attitude critique qui porte jusqu’au medium lui-même. Pour cette 9e édition, l’Europe se dévoile ainsi sous de nombreuses coutures, à la fois objet de fantasmes, de craintes et de désillusions mais certainement pas morte ni oubliée, vidée ou irrémédiablement et à jamais fragmentée. Elle est, dans toute sa diversité.