(c) Dorothée Thébert Filliger

On connaît son travail, et pourtant on ne s’en lasse jamais. Après “Phèdre !” et “Giselle…”, François Gremaud met un point final à sa trilogie consacrée aux figures féminines mythiques de la scène avec “Carmen.”. C’est qu’on croyait bien la connaître, l’Andalouse qui fait chavirer les coeurs, tant on baille dessus à l’école depuis des générations. On y allait même, avouons-le, peut-être pas à reculons mais avec précaution, se demandant si cette fois la magie opérerait encore, si ce ne serait pas le Gremaud de trop parce que quand même, Carmen…

Mais comme chez le metteur en scène et auteur suisse beaucoup se joue dans les détails, ce n’est justement pas à une énième resucée de Carmen…, mais bien à une version de “Carmen.” que nous sommes convié·es. La moue dubitative que l’on imagine derrière les points de suspension à l’évocation du personnage créé par Henri Meilhac et Ludovic Halévy est remplacée par un point, final donc, fier et triomphant sûrement, comme la Carmen de Rosemary Standley qui se dresse seule en avant-scène, devant les cinq musiciennes qui l’accompagnent.

Ce qu’on aime, comme toujours, dans le travail de François Gremaud, c’est la pop culture qui vient donner la main à la culture classique, c’est Sheila qui prend la main de Bizet, c’est Dalida qui tourne chez Youssef Chahine, c’est le pas de côté pour donner un avis contemporain sur un texte classique, c’est l’absence de jugement de valeur et le mélange des genres dans un joyeux bordel de références plus ou moins cachées, c’est la façon de glisser au sein du texte une blague qu’on a trouvée pas assez bonne pour la garder mais pas assez nulle pour la supprimer tout en s’excusant de la faire parce qu’on avait quand même drôlement envie de la garder. Et puis même si c’est nul, tant pis, on assumera, avec la voix de Rosemary Standley on peut faire passer beaucoup de choses alors autant en profiter.

“Carmen.” suit la même construction que “Giselle…”, présenté au même endroit l’an passé. Une actrice, chanteuse ici danseuse là-bas, qui fait de l’opéra (ou du ballet) un oratorio à une voix où elle interprète l’œuvre autant qu’elle la commente. La légèreté du dispositif convient si bien à la liberté des personnages qu’il défend qu’on en vient à se demander comment on a pu imaginer Carmen autrement que pieds nus, nous racontant son histoire et sa genèse comme le ferait une amie pas vue depuis longtemps autour d’un café.