I/O n°45 [édito]

io-45En face du problème essentiel de la vie, à savoir la délivrance des chaînes de ce chaos qu’est l’histoire, Gershom Scholem évoque deux possibilités dans ses « Essais sur la spiritualité du judaïsme », rappelant avec elles tout ce qui sépare la geulah juive de la rédemption chrétienne : considérer le salut comme « une course vers la fin des temps », ou bien chercher la sortie des cataclysmes de l’histoire par « une fuite vers le commencement ». Évidemment, le pessimisme absolu de la Mishna impose cette fuite. Mais alors, Walter Benjamin avait-il raison de penser qu’on ne peut « inventer le futur qu’à faire venir à soi une remémoration » ? Connaître la création et respecter le passé semblent être en tout cas les seuls chemins praticables vers l’achèvement de nos histoires individuelles. Peut-être parce que « what cannot be eschew’d must be embrac’d », comme le dit Page dans « Les Joyeuses Commères de Windsor ». Quel médium, alors, pour voyager sur cette route et vers l’assurance d’un apaisement ? Le Théâtre, bien entendu. Le Théâtre et l’obligation qu’il nous fait de respecter les mots et les morts qui jamais ne reviendront une fois la représentation terminée. Pourquoi ? Parce que dans ces salles, c’est « le souffle d’air dans lequel vivaient les hommes d’hier » dont parle Benjamin qui résonne chaque soir, et avec lui l’injonction faite à chacun d’entre nous de contrer l’impossible poids du passé. En fixant les mots et en gravant les souvenirs, c’est donc bien l’épitaphe de ces représentations mort-nées que deviennent ces pages, et c’est aux forçats de la rédemption que I/O Gazette s’adresse… à ceux qui jamais ne veulent oublier.