Fin de règne

Le roi se meurt

DR

Nous l’avons constaté sur les plateaux depuis quelques années, l’esthétique kitsch voire moche est une entrée possible dans le nerf d’une œuvre, une frontière que l’on érige volontairement pour forcer le spectateur à sortir de sa zone de confort. C’est une technique efficace pour peu que la pénibilité du moment soit compensée par une illumination du sens ou une angélophanie performative. Et si le texte de Ionesco reste d’une acuité stimulante, la mise en scène de Cédric Dorier peine à lui donner une direction ou a minima une cohérence. Voilà donc cette cour royale déglinguée dans son castelet, créatures hybrides perruquées et talquées pour une parade Disney ou comme une famille Addams en Technicolor qui s’ébrouent avec virulence et projettent leurs répliques dans une hystérie continue peu propice à la réflexion ou au sentiment. Tourbillon de mots et de portes qui claquent surligné par une scénographie tellement narrative qu’elle en devient suspecte ; cherche-t-on vraiment à nous expliciter visuellement ce temps qui a du mal à passer ? Les mécanismes d’horlogerie ornent ce carrousel posé au milieu du plateau, cloîtrant ce petit monde dans une arène, lieu de la déchéance souhaitée et annoncée. Tout est clair, tout est lisible, mais de quoi veut-on nous entretenir réellement ? Quelle est l’urgence de ce théâtre ?Symptôme de l’absence de sens dramaturgique : une scène chantée façon comédie musicale à la française, chorégraphiée par un cousin de Kamel Ouali et accompagnée de projections d’images frôlant l’indécence et le diaporama New Age. Dans quelques rares moments plus intimes, des instants d’émotion peuvent surgir, comme si, débarrassé des facilités et des cris, le texte parvenait à dérouler toutes ses épaisseurs et les (méritants) acteurs, sans surjouer enfin, à transmettre les questionnements ontologiques que dessine Ionesco. Le roi prend son temps pour mourir et, à l’issue de cette agonie, deux sentiments cohabitent : un trop-plein de signifiants évidents qui nous font croire que cette mise en scène ne fait confiance ni à l’auteur ni au public, et une question en suspens – pourquoi un artiste de quarante ans choisit-il de créer une pièce du répertoire sans avoir une idée à creuser ou un point de vue à défendre ?