El Conde de Torrefiel est dans la place

La Plaza

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Le collectif barcelonais dirigé par Tanya Beyeler et Pablo Gisbert fait de la scène le miroir d’une société sombrant dans la morosité et confirme sa capacité à inventer des formes aussi innovantes qu’insolites.

À la recherche de nouvelles modalités plastiques et dramaturgiques, El Conde de Torrefiel secoue par son discours sur le monde et sa manière de le représenter. Dans « La Plaza », créé au Kunstenfestivaldesarts, un tapis de fleurs et de bougies rappelle le trauma persistant des derniers attentats terroristes survenus dans plusieurs capitales européennes et le besoin de commémorer les victimes ; un couple avec poussette, un adolescent, capuche vissée sur la tête, des femmes maghrébines, un groupe de touristes, des fêtards éméchés forment entre autres un microcosme humain incongrûment peuplé.

La scène, devenue aire de jeu déserte et aseptisée, se présente comme un condensé d’humanité, aussi référentiel qu’intrigant. Tout y apparaît sous une forme étrangement spectrale et d’une hostilité anxiogène. L’uniformisation et l’anonymat caractérisent les individus, montrés sans visage, la peau et les expressions dissimulées derrière un épais nylon. Aucun langage n’est d’usage, à l’exception d’un texte projeté qui défile en continu. Cette provocante abstraction des êtres et des situations mâtine la réalité présentée d’une apparente facticité.

Chaque séquence témoigne d’un réel sens de l’observation et même de l’auscultation de ce qui, dans la société contemporaine, est profondément existentiel mais ordinaire, banalisé, et finalement invisible, pour cause d’indifférence ou d’omission volontaire. Surgit alors une conscience du temps présent, de sa violence latente comme de son caractère dérisoire. L’intérêt réside moins dans ce qui est montré que dans le regard qu’on pose dessus. Bien assis, le spectateur se voit apostrophé d’un « tu » quasi accusateur qui sonde les idées et les émotions de son esprit liquide, un peu autiste au monde à force d’aliénation. C’est lui le protagoniste de la performance.

Le travail proposé n’assène pas de thèse, il (re)donne à voir, non pour stigmatiser mais pour inviter à penser, à réfléchir à l’individu et à la communauté, à la relation entre l’espace et l’être, à la communication et à la consommation. C’est tout cela que cristallise « La Plaza ». La performance agit véritablement comme un révélateur.