Le soleil n’est pas encore levé et, dans le noir préambulaire à l’aurore, guidés par le chant des premiers oiseaux, nous le pressentons : c’est jusqu’au retour de la nuit que nous allons accompagner les circonvolutions de ce danseur agreste à la fois ancré dans sa terre et pétri d’une grâce éthérée.
Toutes les propositions scéniques de Simon Mayer sont composées avec les mêmes ingrédients : le corps nu percuté, la peau sollicitée, la trajectoire ovoïde privilégiée et la musique traditionnelle susurrée. On se souvient notamment avec bonheur de « Sons of Sissi » quadrille masculin, ode au yodel jusqu’à l’épuisement des chairs. Son travail consiste en effet à articuler les traces de son enfance bercée par les coutumes autrichiennes et son imprégnation de danse contemporaine. En s’appliquant à confondre sur le plateau l’outil et l’instrument (violon et scie, cuisse et percussion), l’ouvrage et l’œuvre (le tronc d’arbre et la création d’un spectacle), il sublime simplement le faire, devient l’ouvrier gracieux et besogneux des heures qui passent, répondant ainsi à la double injonction d’une transmission transgénérationnelle et d’un raccord avec la postmodernité.
« Sois nu quand tu sèmes, nu quand tu laboures, nu quand tu moissonnes », le chorégraphe suit à la lettre les préconisations d’Hésiode et creuse seul son sillon sur un plateau sans autre décor que cette lumière caressante qui sculpte le corps et rassure l’esprit. Il lui reste de ses collaborations avec De Keersmaeker un goût pour les formes sobres répétitives, des lignes tenues et une construction esthétique léchée à quoi s’agrège la place singulière de la musique qu’il fabrique au fur et à mesure de la performance. Maîtrisant les codes du « self exoticism » – l’acte par lequel un artiste « natif » choisit de réinvestir dans sa pratique tous les clichés par lesquels le regard du dominant réifie son identité -, Simon Mayer conceptualise, dans une litanie de gestes choisis, une journée d’un paysan dans les alpages. Les silences, le chant, le corps qui travaille et enfin le repos vespéral, assis sur ce banc de bois façonné par ses mains créent en une heure une symphonie pastorale du 21e siècle.