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Au moment où les éditions du Seuil viennent de publier une version numérique et arborescente du mythologique « Lieux » de Perec, Nicolas Heredia et sa Vaste Entreprise continuent de creuser leur sillon expérimental qui propose un regard décalé et ludique sur le monde.

Il y avait du perecquien, déjà, dans « L’Origine du monde », découvert au OFF d’Avignon en 2019. Lorsqu’on arrive aux portes du MAIF Social Club, rendez-vous pris pour une courte marche vers un « lieu secret », on s’imagine bien que c’est à une expérience similaire à laquelle on est convié et dont on ne sait strictement rien. Peut-être parce que nous sommes déjà à l’affût, imbibé de surinterprétatif et de souvenirs fragmentés de théâtre immersif, tout commence, malgré nous, pendant la déambulation : le parcours que l’on est en train de suivre est-il signifiant, ou pas du tout ? On s’interroge. Quelques minutes plus tard, assis sur les gradins improvisés au cœur du boulevard Richard-Lenoir, la concentration s’aiguise encore plus.

Il sera difficile d’évoquer quoi que ce soit de « L’Instant T » sans dévoiler le mystérieux agencement qui constitue le cœur de la performance. Peut-être suffit-il de dire que Nicolas Heredia parvient, sur le fil, à concevoir un jeu d’attention au monde. Aux signes discrets – et parfois un peu moins – qui le ponctuent, volontairement placés là par un démiurge facétieux ou par un simple faisceau de circonstances fortuites. L’espace urbain, pour une quarantaine de minutes, devient un espace à conquérir par le regard, une matière organique d’où peuvent surgir nos histoires : le réel est bien cette fiction tissée par chacun, que l’on ne peut que se résoudre à comparer aux fictions des autres. A tel point qu’il ne saurait exister de consensus intégral, à l’issue du spectacle, sur l’exégèse de l’expérience vécue. Et c’est tant mieux, car celle-ci se passe de tout commentaire définitif : c’est un petit moment d’espace-temps qui incite à la reconfiguration de son rapport intime au monde.