Repentez-vous du grand capital !

La Bonne Nouvelle

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Au théâtre Dijon-Bourgogne-Centre dramatique national, Benoît Lambert remplit brillamment sa mission d’artiste-directeur d’un haut lieu de la décentralisation théâtrale, à savoir la création de spectacles originaux qui interrogent leur époque à la fois sur le fond et la forme esthétique. Il collabore pour la troisième fois avec François Bégaudeau, connu pour son roman « Entre les murs », dont l’adaptation cinématographique fut primée à Cannes et qui prend aussi peu à peu de l’importance dans le paysage de l’écriture dramatique. Ensemble, en s’appuyant notamment sur la production de l’idéologie dominante de Boltanski et Bourdieu, ils parviennent à renverser notre regard sur le pouvoir et l’aliénation.

Ils sont cinq libéraux repentis. Un présentateur les invite à prendre tour à tour la parole pour témoigner de leur foi passée : oui, ils y ont cru, au capitalisme, à la libération des peuples par la compétitivité, au bonheur de chacun dans la valeur travail et la méritocratie. La musique punchy rythme les séquences, les phrases chocs s’affichent sur un écran géant, c’est une dramaturgie du show à l’américaine qui nous est proposée pour suivre le parcours de ces rescapés du libéralisme. Et c’est aussi drôle que terrifiant. On se délecte d’abord du récit de leur vie de thatchériens croyants pratiquants : les badges d’entrée des tours de verre, le lexique anglo-saxon mais sans accent, les séminaires de team building… « Mais on peut s’en sortir et c’est une bonne nouvelle ! » nous crient-ils, en larmes, tels des born again évangélistes après avoir revécu devant nous l’instant fatidique où ils ont eu leur révélation et lâché la « main invisible du marché », dans un hilarant psychodrame de thérapie de groupe.

La force de cette proposition, c’est qu’elle utilise justement les codes de représentation des classes dominantes pour démontrer à quel point leurs injonctions à l’austérité, au sacrifice, au « réalisme » reposent non pas sur une meilleure connaissance des réalités, mais sur un aveuglement folklorique et un fanatisme religieux. Grâce à ce vertigineux procédé d’inversion, finalement assez brechtien, voyant ces dominants perdre la foi sans pour autant proposer de nouveau modèle (la pièce se conclut par un grotesque appel aux dons), nous sortons du spectacle lavés de toute espérance mais pleins d’espoir, et plus décidés que jamais à retrousser nos manches pour inventer ensemble cet autre monde possible.