Ouvrez la parenthèse enchantée

Le Théâtre de la Ville à l'Espace Pierre Cardin

Pendant les travaux de rénovation de sa grande salle, place du Châtelet, le théâtre de la Ville éparpille sa programmation sur une vingtaine de lieux partenaires, comme une pluie de confettis sur le territoire parisien. Et c’est à l’Espace Pierre Cardin que l’équipe du théâtre a maintenant pris ses quartiers pour cette parenthèse qui durera deux saisons. Situé au coin des Champs-Élysées, ce lieu aux multiples facettes fut tour à tour un café-concert, un théâtre privé, mais surtout, depuis les années 1970 et sous la direction du célèbre couturier, un « espace » dédié aux arts sous toutes leurs formes et notamment les plus avant-gardistes.

Pour son installation dans les murs, le théâtre de la Ville a choisi d’inviter le public à une ouverture festive répartie sur deux week-ends consécutifs, avec une programmation pluridisciplinaire et cosmopolite, résolument tournée vers la jeunesse, à l’image de l’esprit du théâtre. Entre la danse, la musique, la magie, le jonglage et les installations de réalité virtuelle, j’ai finalement jeté mon dévolu sur le théâtre vidéo-musical-dessiné du duo Stereoptik, dont l’excellent « Dark Circus », actuellement au Monfort, m’avait déjà conquis l’année dernière à Avignon. Ici, ils présentent à la fois une exposition et un spectacle intitulé « Congés payés ». C’est un bonheur de découvrir au moyen de vitrines interactives les œuvres et les mécanismes qui donnent vie aux spectacles : figurines, flotteurs, jouets et cartons sur tourne-disque, dessins qui s’étendent sur plusieurs dizaines de mètres formant les décors roulants de leurs histoires au goût home baked cake. C’est cette même nostalgie qu’on retrouve dans « Congés payés » en suivant les images de ces hommes, femmes et enfants qui « inventèrent les vacances » à partir de l’été 1936, nous interrogeant sur ce qu’il reste aujourd’hui de cette furieuse envie de s’échapper. De vieux films sont peu à peu traités par la musique, la couleur et le crayon, comme on caresserait un souvenir. Le verdict de mon fils de six ans est sans appel : « C’était vraiment trop court ! » Il est difficile de donner une mesure au plaisir qu’on ressent à voir s’inventer une forme aussi belle sous nos yeux. Peut-être serait-il comparable à celui de frotter la lampe merveilleuse et de voir s’accomplir nos rêves les plus fous.

Le samedi suivant, nous assistons à la boum littéraire de Fabrice Melquiot et de ses complices Marion Aubert et Samuel Gallet. Dans une alternance échevelée entre chansons pop et histoire de squelettes sur fond de dérapage de train fantôme, adultes et enfants ont remis en question les lois de la gravité en bondissant sur la piste de danse. Les trois auteurs-lecteurs n’ont eu qu’une journée pour écrire ce petit drame à usage unique, se passant la feuille d’épisode en épisode comme on mystifie la défense avec un jeu à une touche de balle avant de coller une cacahuète en pleine lucarne. Là encore : « C’est déjà fini ? » me dit mon fils. Alors on enchaîne avec « Suzette », autre proposition de l’auteur savoyard. Biopic déjanté d’une petite fille dont les parents penchés sur le berceau prononcent la malédiction : elle sera un génie ! Une joyeuse bande d’artistes raconte comment on peut traverser l’enfance en subissant l’injonction permanente de se situer au-dessus du panier, dans un tourbillon de chansons, de trouvailles scéniques, vidéo, musicales, picturales, invitant même de jeunes spectateurs à s’en mêler sur le plateau. Mais c’est surtout la tentation de l’élitisme présente en chaque parent que Melquiot parvient à exorciser en proposant un très beau poème, écriture de théâtre total à la fois corrosive et tendre envers tous. L’ouverture de l’Espace Pierre Cardin donne le ton d’un chapitre résolument inventif et pluriel du théâtre de la Ville. Pour représenter le monde, faisons œuvre de toute chose.