(c) Louise Quignon

Avec “La Grande Marée”, nous sommes invité·es à mettre les voiles pour rêver éveillé·es, remonter le cours de nos mythes et mettre en jeu notre esprit d’aventure, embarqué·es par les quatre comédiens qui nous entraînent à leur suite dans leur expédition.

Après avoir navigué à la recherche de l’île Utopie de Thomas More sur un radeau, quête documentée par le cinéaste Clément Schneider en 2016 dans “Île-errance”, le metteur en scène Simon Gauchet continue de traquer la fiction dans les territoires en se mettant cette fois-ci à pister l’Atlantide. Le plateau se transforme alors en hétérotopie, les grandes toiles peintes qui s’y plient et déplient – et le métier de cintrier ici témoigne d’une grande virtuosité – se font océan, grotte pariétale, ou encore support pour cours magistral, rapprochant le théâtre du jeu de l’enfant et des premières mains négatives, revendiquant un artisanat poétique pour laisser libre cours à l’imagination de son public.

Tout commence par le partage des songes de la veille, et puis l’évocation d’un article de la journaliste Brigitte Salino, elle-même critique de théâtre au “Monde”, publié en juillet 1989 dans “L’Événement du jeudi”. Elle y rapporte « l’extravagant projet » mené par le philosophe allemand Ulrich Sonnemann (1912-1993) qui avait réuni une trentaine d’universitaires, étudiants et penseurs pour se mettre à la recherche de l’Atlantide, considérant qu’à la base de l’histoire de l’humanité « il y a eu un traumatisme : l’engloutissement de l’Atlantide. (…) Tant que l’humanité n’aura pas surmonté cette catastrophe initiale, elle aura toujours tendance inconsciemment à aller vers de nouvelles catastrophes. » Pour conjurer le sort, il « faut tenter d’aller retrouver des traces dans le passé. » Or ce projet en apparence farfelu sera lui aussi englouti par un autre raz-de-marée : la chute du mur de Berlin. Partant de cette utopie avortée, Simon Gauchet et ses complices en font surtout une revendication pour croire en l’imaginaire : comme il est indiqué de façon liminaire et programmatique sur le mur de fond de scène : “Essaye de te souvenir ou, à défaut, invente.”

Le spectacle trouve son inspiration aussi bien dans les trous de l’histoire que dans les documents glanés ci et là : re-enactment d’interview entre Brigitte Salino et l’un des participants, le sociologue et écrivain allemand Dietmar Kamper (1936-2001), retrouvailles avec un ancien étudiant désormais habitant dans le Lot, improvisation à partir d’une réunion entre les intellectuels, plongée sous-marine en Grèce, explorations de lieux évoquant, de loin en loin, l’Atlantide (aussi bien le Mont Saint-Michel qu’une grotte bretonne), rêverie à partir d’une toile peinte d’un opéra représentant la plaine de la Crau, “La Grande marée” se construit de façon réticulaire, par association d’idées ou glissades plus ou moins fluides et parfois le fil s’étiole au milieu de ses grandes toiles, nous empêchant de prendre véritablement le large. L’ensemble est doux et charmant, porté par des comédiens affables, à la faconde bonhomme : “La Grande marée nous berce dans un roulis plaisant, là où l’on aurait parfois aimé être ballotés par des flots un peu plus déchaînés…