Le nyctalope souverain

Forbidden di sporgersi

(c) Christophe RAYNAUD DE LAGE

(c) Christophe RAYNAUD DE LAGE

C’est l’histoire de ceux qui penchent la tête hors des trains en marche, qui ouvrent les portes dont l’accès est interdit, malgré les panneaux qui disent « Forbidden di sporgersi ». Créé par Pierre Meunier et Marguerite Bordat et joué à la Chartreuse, « Forbidden di sporgersi » adapte le roman « Algorithme éponyme », de l’auteure autiste Babouillec, à travers un théâtre à la croisée du cirque et des arts plastiques (Niki de Saint Phalle, Calder et Tinguely ont collaboré à la scénographie). Le spectacle restitue le chantier de construction et de destruction d’un monde intérieur entre poésie et animisme, entre art brut et vision dadaïste : « Pourquoi pas le RIEN comme point de rencontre ? » suggère Babouillec.

Sur la scène, enrobée de ruban de chantier blanc et rouge, un corps de personnages en blouse blanche avec casque de chantier et gants de bricoleur manipule des panneaux numérotés de plexiglas stratifié. Mais ces numéros n’organisent rien et disparaissent au profit de dessins abstraits et au son de la chute métallique et inévitable de tout ce qui occupe l’espace scénique. Car sur cette scène plutôt chargée, sculpturale et barrée s’entrechoquent et se suspendent une palette de ventilateurs sur roulettes, du plastibulle au drapé aérien, des câbles électriques qui n’en font qu’à leur tête, un bassiste qui joue avec un archet et un casque, et surtout une vis géante qui menace d’anéantir le spectacle entier. Bref, une féerie d’acier et de PVC qui livre en contrepoint sa fable philosophique : « Forbidden di sporgersi » rit un peu de nous « faiseurs du monde, dans ce dédale arbitraire », « têtes asservies aux corps cyniques ». Une vision sombre et pessimiste, corrigée par la vue hors du commun du nyctalope, alter ego de Babouillec. Au salut, les panneaux de plexiglas nous renvoient notre propre reflet.