« J’étais un sot tout à fait remarquable. » La voix de Robert Walser, qui fut le contemporain aimé et admiré de Kafka, est singulière. À l’institut Benjamenta, on forme des domestiques, et le jeune Jakob von Gunten, issu d’une vieille famille de guerriers devenus « aujourd’hui grands conseillers et négociants », a décidé d’y suivre une scolarité afin d’« en finir pour de bon avec toute cette tradition d’orgueil » et d’apprendre la servitude. Deux figures vénérées dominent cet univers : le directeur (Pierre-Yves Chapalain, impeccable) et sa sœur institutrice, dont tous les élèves sont amoureux.
La mise en scène de Bérangère Vantusso, avec une acuité et une sensibilité rares, restitue pleinement l’esprit du roman et son écriture insolite, sans en être la plate illustration. On ne s’ennuie jamais dans ce spectacle, à regarder avec fascination ces marionnettes presque identiques, réduites à des demi-corps, déballées de leurs grosses boîtes cartonnées, portées, animées, dédoublées par les acteurs qui leur prêtent voix. À assister, presque mi-conscient, à ce ballet silencieux et parfaitement réglé des objets. À être plongé dans cet univers à la fois réaliste et onirique, où les voix et les lumières tamisées relèvent à la fois du conte de fées et du cauchemar. Car il advient toujours quelque chose sur la scène et, dans ce climat familier et étrange, le spectateur est rendu réceptif au moindre instant.
Le travail à la scénographie de Marguerite Bordat, une des premières collaboratrices de Pommerat, est impressionnant. Bientôt, un énorme nuage de soie noire, gonflé de nos terreurs nocturnes et de nos chagrins d’enfant, envahit le plateau. Assurément, un des grands moments de ce festival.