© Nelly Rodriguez

Plongée au cœur de deux fortes individualités sous forme de soli, dans le cadre du festival du même nom à la Comédie de Genève. Qu’ils soient brefs ou non, leurs créatrices ont chacune trouvé la bonne distance à soi pour dévoiler leur monde intérieur.

Trân Tran avec ses seulement quinze minutes de représentation attise le désir d’en découvrir davantage. Accessoires posés au sol, deux assistants muets, elle obéit aux injonctions du public lisant des cartes placées au dos des fauteuils. A chaque représentation l’ordre du jeu sera modifié selon une logique aléatoire. Ses changements de costumes, disparition et réapparition, font écho aux performances basées sur de simples actions : « partager un complexe physique », « vouloir être grande » ou encore « disparaître dans ses habits », éclairs d’humour et de cache cache identitaire. Elle recherche le sens des codes sociétales et de la liberté qu’elle peut y trouver en jouant de sa personne, nue, déguisée, travestie ou cachée, dans une grande finesse de posture. Sa facilité à investir les interstices de temps qu’elle enchaîne habilement ponctue les minutes de rire. Trân Tran a l’œil pétillant et le corps puissant. Elle mêle légèreté et grâce de l’esprit à une maîtrise et un physique habité d’une conscience de lui-même étonnamment mature.

Dans la grande salle, la force de frappe du missile intellectuel et performatif de Pamina de Coulon happe et captive. Par le Mot Tout Puissant, dans un flux de paroles qui donne à voir une pensée à la fois discursive et intuitive, globale, un esprit nourri d’esprits multiples et dans lequel les concepts s’entrechoquent, elle boit à la source des grands pour abreuver une soif inextinguible de comprendre. Elle digère cette manne et en dessine une cartographie de l’esprit rendu lisible. Du voyage dans le temps à l’alter-mondialisme, des propositions paradoxales de la physique quantique au mouvement punk, elle questionne son amour de l’abstraction et en revient aux sorcières dans un mariage entre raison et émotion (lancer de morceaux de papiers blancs pour en souligner l’union). Elle remplit chaque recoin de l’espace vide de mots, invente, tisse sa toile, déroule et dévoile un monde intérieur incroyablement vivant, riche et complexe, une pure intelligence à l’œuvre. Dans son justaucorps étoilé, elle glisse sur la ligne du Temps et s’utilise comme métaphore, pour assouplir son propos en faisant du yoga, étirant ses idées jusqu’au bout des jointures. Si son deuxième opus, “The Abyss”, est encore plus maîtrisé, on ne peut que jouir de voir à l’œuvre ce « regard attentif au monde » ce regard posé et agissant qui fait de Pamina de Coulon une philosophe activiste de la scène.