Maïeutique de la vision

© Danielle Voirin

Le travail de Gaëlle Bourges est une recherche permanente et autoréflexive des dispositifs capables de rendre compte de la matière dont sont faites les fables fondamentales et leurs déclinaisons visuelles au cours de l’histoire de l’art. Plus le verbe est rebelle à faire corps, plus l’artiste s’attache à y démêler les éléments aptes à être incarnés sur scène, telle « L’Apocalypse de Jean » (ou « Livre de la Révélation ») dans « Ce que tu vois ». Plus l’image résiste à être mise en mots, plus celle-ci sera retournée sous toutes ses coutures comme dans « À mon seul désir », interrogation sur l’ésotérisme de la virginité telle qu’inspirée par la cryptique « Dame à la licorne ». Toujours, l’image vient s’entrechoquer avec amour à la parole, et vice versa. La collision ne crée pas de balancement binaire mais déclenche plutôt l’éparpillement des possibles qui, se disséminant, fécondent l’espace en d’innombrables objets, d’hypnotiques chorégraphies et de frémissantes bandes-son.

« Le Bain », récit tiré du fond inépuisable des « Métamorphoses », s’inscrit parfaitement dans ce projet au long cours qui chérit une maïeutique de la vision par la vision. Gaëlle Bourges s’appuie ici sur une analyse des peintures de François Clouet (« Diane au bain ») et du Tintoret (« Suzanne au bain ») pour interroger la matière du mythe ovidien. Au rythme d’une voix douce et appliquée — dont la source, cachée, envahit l’espace à la façon d’une quasi déité —, un trio féminin parcoure la scène de part et d’autres. Ces muses, artisanes du récit en cours, mêlent pantomimes et musique avec une simplicité captivante.

Le jeu n’est jamais tout à fait une illustration simple du texte, mais un réservoir de symboles qui s’engendrent les uns après les autres. La scène devient ici matière poïétique au sens strict : les potentialités des corps à l’ouvrage et des objets manipulés génèrent en continu des situations inédites, de nouvelles formes créatives. La couture entre les médias artistiques change avec fluidité. La liquidité de la figure de « Diane au bain » se cristallise ainsi dans ce flot permanent et délicat à laquelle la dramaturgie faussement naïve de Gaëlle Bourges donne naissance.