© François Declercq

« Simple » est un spectacle à la fois très intelligent et très bête, ou, pour le dire autrement, qui a l’intelligence de la bêtise. Trois danseurs (Baptiste Cazaux, Piet Defrancq et Daan Jaartsveld) se retrouvent en effet dans un espace plutôt douteux esthétiquement, dominé par une toile en fond de scène rappelant Merce Cunningham, toute en sprays de couleur, que la création lumière de Laurence Halloy viendra révéler sous plusieurs aspects luminescents. À vrai dire leurs costumes aussi, d’un beige chair parsemé des mêmes taches de couleurs, sont assez laids, si bien qu’au début le doute s’immisce : s’agit-il de mauvais goût, ou d’un second degré programmatique ? 

Il faut peu de temps pour se rassurer, car le rire est même au centre de « Simple » : les danseurs, à partir de quelques motifs chorégraphiques, entament en effet un dialogue éminemment théâtral, presque clownesque, dans lequel la danse, pourtant nonchalante, a l’air motivée par le désir d’être vu, applaudi peut-être, aimé probablement. À mesure que la grammaire se déploie, et avant que la répétitivité ne laisse poindre l’ennui, « Simple » devient tout bonnement sublime lorsque les danseurs agrègent à leur danse des sons, puis des actions : l’un chante, et c’est hilarant, « Besame Mucho » plus ou moins comme s’il faisait une crise d’asthme, l’autre prend un bâton en bois pour taper compulsivement un rythme au sol… Bien sûr on ne sait pas bien ce qu’ils font, mais les trois, volant d’un non-sens à un autre, se rassemblent autour de cet amour de l’absurde, jusqu’à l’emmener dans des mouvements de groupe de plus en plus conséquents : on chantait seul une chanson d’amour, à présent on chante ensemble « I will survive » ; on tapait seul avec un bâton de bois, à présent on parsème le rythme d’un cri flegmatique qui parodierait un défilé militaire… Et on finit tout bonnement par s’éclater des planches de bois sur la tête, tout en conservant la même nonchalance dansée.

De l’idiosyncrasie à l’idiotie, il n’y a qu’un pas qu’Ayelen Parolin franchit avec une grâce évidente : il eût été facile, c’est sûr, de sombrer en ce cas dans la petitesse morale, en mettant sur scène une bande de lourdauds toute prête à être gaussée. Or c’est tout l’inverse qui se passe : « Simple » est le spectacle ludique par excellence, les danseurs sont les premiers à exulter dans ce langage aux phrases plus complexes qu’elles n’en ont l’air, et le public n’en est que le réceptacle… C’est pour le mieux : l’humour de « Simple » en devient d’autant plus généreux, car il provient d’une profonde intelligence chorégraphique.