Les Swiss Dance Days 2017, ce sont 4 jours et 535 heures de danse suisse sur 12 scènes genevoises présentées au public mais surtout aux plus de 300 programmateurs venus de 38 pays. Tous les deux ans dans une ville différente, cette plate-forme offre aux professionnels de la danse la possibilité d’élargir leur réseau et encourage la diffusion des productions suisses à l’international. Vitrine aux yeux du monde, ce moment phare de la danse contemporaine se doit d’éveiller les consciences et les envies, de générer du désir et des interrogations, de faire de la danse suisse une référence de vitalité artistique. Voilà donc l’occasion de découvrir la très grande diversité du paysage de la danse contemporaine suisse : en plus des créations des chorégraphes confirmés La Ribot, Cindy Van Acker (avec le ballet du Grand Théâtre de Genève) ou encore Kaori Ito, quinze autres productions ainsi qu’un film en 3D sélectionnés par un jury ont été présentés, accompagnés des huit autres compagnies qui ont eu l’occasion de montrer leur travail dans le cadre du « Salon d’artistes ». La prochaine édition est prévue pour février 2019.
Voilà pour les éléments factuels, vous savez tout, mais rien de l’essentiel. Que faut-il retenir de cette édition ? Qui va-t-on voir de festival en festival ici et ailleurs ? Qui squattera les saisons des lieux les plus en vue ? Qui faut-il programmer pour avoir une longueur d’avance ? Après avoir arpenté les plateaux des jours entiers, voici donc une sélection, un morceau de programmation, trois propositions qui séparément sont solides artistiquement et qui ensemble résonnent d’accords nouveaux. Un parcours idéal en somme.
Jasmine Morand / « Mire » Les hallucinations ou autres persistances rétiniennes prennent le pouvoir d’autant plus facilement que le corps est allongé. Cette position inhabituelle dans les théâtres engendre une attention particulière, déplace de facto le regard. Un miroir au ciel reflète les douze corps nus. Visuellement à distance, ils sont pourtant physiquement très proches. Une rotonde les entoure sur le plateau, et si l’envie vous prend de décoller de votre matelas des interstices laissent passer lumière, regard et bruit des peaux sur le sol. Ce double point de vue fonctionne subtilement par opposition : ce qui se dévoile totalement est loin, ce qui est à portée de main se laisse attraper par bribes. Voici donc le propos : travailler poétiquement sur le fragmentaire. Kaléidoscope humain – les formes s’enchaînent, les membres se déploient à la manière des figures marines désuètes de la natation synchronisée. Mer ou ciel qu’importe, la performance physique laisse progressivement place à la rêverie, l’esprit en état de douce et étrange divagation esthétique. Inspirée par le phénakistiscope de Muybridge, Jasmine Morand nous invite aux origines fœtales de l’image en mouvement.
Anne Delahaye, Nicolas Leresche / « Parc national » C’est beau de lenteur, comme une parenté inconnue avec certaines scènes mystiques mais animales d’Yves-Noël Genod ou celles doucement hallucinées de Claude Régy. Dans une performance totalement organique, le corps nu sans visage d’Anne Delahaye défie les caractères sociologiquement humains pour s’aventurer du côté des esprits végétaux, reptiliens ou dionysiaques. L’image majestueuse en fond de scène palpite grâce à la lumière qui métamorphose et crée du temps qui coule de la nuit au jour, et de la matière qui évolue du réalisme à la gravure. Les sons guident l’esprit vers une échappée contradictoire, tantôt forêt, tantôt chantier, et les perturbateurs endocriniens qui ne manquent pas de se présenter sur scène sous forme de chanteur à guitare ou de robot télécommandé ne peuvent pas modifier le cours du corps qui n’est déjà plus tout à fait femme. Une chimère sans doute, qui évolue dans une seule phrase continue chorégraphiée au sol, en symbiose avec cet environnement vivant et poétique. En contradiction avec la séparation arbitraire des espèces d’espace.
Adina Secretan / « Place » C’est un grand cri punk et muet sur un mur et c’est un parti pris formel radical poussé jusqu’au gouffre. Par ce geste jusqu’au-boutiste artistique et politique, Adina Secretan tente de brutaliser les problématiques liées à notre désir de coquille, interroge par un flot de mots incessant projeté en lettres capitales ce qu’« habiter heureux » peut vouloir dire. Sur un sol instable et réactif, les performers tentent de se faire un trou, un espace à eux, un radeau de la « Méduse » terrestre ; ils portent et subissent le discours sans en être l’illustration. Avec « La Poétique de l’espace », de Gaston Bachelard, comme base théorique, on travaille le paradoxe du « mollusque vigoureux », on pose le manque de place dans nos villes comme raison du repli égoïste et du besoin viscéral de refuge. Un monologue d’artiste qui endosse malgré lui le rôle ancestral de pythie, incomprise par beaucoup mais nécessaire à la société.