À cœur ouvert

À mon corps défendant

© Vincent Muller

Marine Mane revient à Avignon avec une trilogie puissante. « À mon corps défendant », placé en maillon central, expose les enjeux esthétiques qui chevillent le travail de la brillante metteur en scène en quête d’une radicalité formelle.

Avec la compagnie In Vitro, Marine Mane continue d’élaborer une dramaturgie intrigante – fondée sur le brouillage à l’extrême des médiums – en exhibant les mêmes obsessions que dans ses travaux précédents. Comme toujours, le geste vient du dedans, du tréfonds de l’être soumis à des situations extrêmes. Une fois l’opercule de l’intime ouvert, l’émotion sauvage envahit les corps et se propage par lames de fond grâce à une chorégraphie spectaculaire qui défie temps et espace.

Pour concentrer l’impact de son propos, Marine Mane choisit de resserrer le regard autour d’un huis clos, formé d’une cuisine fourmillant d’ustensiles divers. Ceux-ci encadrent les différents parcours des quatre danseurs en fournissant autant de points de support que d’éléments de résistance, se révélant prétextes rythmiques ou obstacles physiques en fonction des trames narratives qui émergent en sourdine. Simultanément, la lecture du spectateur est prise au piège d’un jeu de fausse transparence ; différents cycles vidéo s’affichent sur deux toiles tendues, permettant d’augmenter le contenu scénique ou, au contraire, de le voiler momentanément. Tout en cherchant à transcrire la puissance du choc, Marine Mane refuse la littéralité facile. La volonté de brouillage se cristallise aussi dans une réflexion subtile sur la médiateté, l’illusion du présentiel.

L’ingénieux précis de mélange, entre cadre ultra-réaliste et effluves de surréalisme, n’est pas sans rappeler la recherche formelle au cordeau d’un Heiner Goebbels, qui convoque le même projet de confusion médiumnique dans un univers visuel proche. Le parallèle ne s’arrête pas là : tout comme le compositeur-metteur en scène allemand, Marine Mane modèle son œuvre à la façon d’une partition excessivement rigoureuse où chaque objet ou mouvement d’être révèle un réservoir d’harmoniques. L’artiste prouve qu’elle maîtrise sa grammaire dramaturgique à la perfection. Elle flirte, quelquefois, avec le risque de générer un exercice académique poli et trop lisse pour mieux dégager la force brute de son travail et faire surgir le plaisir indicible de voir les corps se plier à une volonté invisible.