Monsieur Kaplan. Le nom de la compagnie d’Arnaud Poujol est à lui seul un film. En poursuivant cette exploration sans frontière du théâtre, de la musique et du cinéma, Arnaud Poujol nous convie cette fois-ci dans l’univers de Marguerite Duras. En quarante minutes, trois comédiens au plateau viennent donner corps à ce que fut Marguerite Duras, à la fois corps et esprit pensant, créant, voyant. Il ne s’agit pas d’incarner Marguerite Duras, mais, comme dirait une autre Marguerite, de faire le portrait d’une voix, plus exactement de deux voix, celle de Duras éprouvée par les ans et celle, guillerette, insouciante et amoureuse de Yann Lemée – bientôt rebaptisé Yann Andréa – qui rencontre Duras en 1975, à Caen, lors de la projection d'”India Song”. L’épure du décor nous convie au cœur des paroles échangées entre l’admirateur et l’admirée. Chacun confiera à la littérature le soin de mettre des mots sur un amour désespéré. Mais les chants désespérés ne sont-ils pas les plus beaux ? Arnaud Poujol a demandé à Aline Le Berre, Élise Servières et Yacine Sif El Islam de redonner vie à ces êtres et, par l’effet de cette magie sympathique dont parle Yourcenar, surgissent du plateau, comme d’une toile de cinéma, les voix universelles de ces fantômes singuliers murmurant depuis leurs enfers une mélodie d’Hervé Vilard. Arnaud Poujol évite l’écueil du mimétisme qui aurait littéralement éteint ces voix portées avec une infinie délicatesse par Aline Le Berre et Yacine Sif El Islam. Et tandis que l’ombre de la jeunesse s’installe à la table des amants, on s’arrête avec Duras et l’on prend le temps de regarder une mouche mourir. Ce temps suspendu au milieu de fantômes, ce fut comme l’agonie de cette mouche qui s’éteint sur le carreau blanc d’une cuisine : rien de plus que la vie elle-même non pas telle qu’elle fut pour deux êtres particuliers mais tel qu’elle est pour nous tous. Un concentré de vie.
Rien de plus, sauf elle, la vie
Je dis elle