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Pour Jean Liermier, monter Marivaux n’a rien de la fable divertissante en costumes. En choisissant “La Fausse Suivante”, il axe sa lunette sur la cupidité et l’égoïsme comme ordonnateur des rapports sociaux, qu’importe le genre ou la condition, et offre une lecture limpide et convaincante de cette comédie en prose de 1724. L’intrigue peut à priori paraître retorse mais les enjeux sont très directement assumés : ici l’argent mène la danse et la ronde des sentiments est un jeu pervers où l’on se vertige à loisir. La question n’est donc pas “Qui aime qui ?” mais “Avec qui ai-je le plus intérêt à engager mon cœur” ? La scénographie faussement sobre accentue le propos atemporel de Marivaux et si nous ne sommes pas au XVIIIe siècle, nous errons dans un espace-temps intérieur indéfini qui permet toutes les projections. La nature – d’arides bouleaux enneigés peuplent le fond de scène – devient alors le lieu de la mort potentielle, celle que l’on convoque en duel ou par la corde. Clin d’oeil au théâtre du peuple de Bussang peut-être, cette ouverture vers la forêt n’est pas un horizon et encore moins un salut. Ce sont les interstices qui seuls permettent une respiration : les changements de décors à vue, ballet lent et précautionneux des techniciens, rivalisent de poésie, la lettre de Saint Paul affirme sans conteste que l’Amour peut tout, et les romances se fredonnent comme des parades au naufrage. Ces archipels sonores, habillés d’une lumière ouatée, encadrent la langue charnue et irrésistible de Marivaux portée par une distribution choisie avec pertinence (car oui, un générique c’est un choix dramaturgique crucial). Tous très singuliers, que ce soit dans leur jeu, dans l’appropriation de la mécanique des mots ou dans leurs corps en scène, ils parviennent à créer une unité qui s’enracine dans une compréhension intime et partagée des intentions du metteur en scène. Les trois valets, particulièrement bien traités dans la partition que l’auteur leur octroie et par l’étendue de la complexité des sentiments qui les anime, livrent les scènes les plus profondes car leurs ivresses sont tendres et le verbe reste haut.